Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

genre le cas de l’héroïne du Crucifié, sœur inconsciente et barbare de l’Hermione racinienne. À défaut de mérites littéraires vraisemblablement périmés, cette valeur documentaire que le livre a prise en vieillissant lui assurera peut-être la sympathie d’une certaine catégorie de lecteurs. Ma part d’invention dans l’intrigue du Crucifié fut en effet des plus restreintes : je me suis borné le plus souvent à déplacer l’action et à changer les noms des personnages. Le lecteur s’en convaincra aisément si, malgré le temps qui s’est écoulé depuis la consommation du crime mystique qui donna naissance à mon livre, il veut bien prendre la peine de visiter avec moi les lieux où périt Loïz-ar-béo. Outre que ces lieux n’ont guère changé, la plupart des témoins du drame vivent encore. On peut les interroger : ils ont connu Coupaïa, Yves-Marie Salaün, Cato Prunennec, mais ils n’en parlent qu’avec une secrète répugnance ; j’en ai vu qui s’arrêtaient, interdits, au moment d’évoquer la victime, comme elle leur apparut dans l’aube trouble d’une pluvieuse matinée de septembre, bâillonnée, les bras en croix, les poignets ficelés aux branches de son gibet. Une sorte de stupeur tragique continue, après trente-deux ans, de paralyser les êtres et les choses autour de ce cadavre mal enseveli.

Dans la réalité, Loïz-ar-béo s’appelait Philippe Omnès. Il n’était pas douanier, mais cultivateur ; il n’habitait pas Landrellec, mais Hengoat. On voit encore sa maisonnette, à l’écart du bourg, dans la jolie vallée du Bizien, petit affluent du Jaudy qu’il rejoint à Pouldouran. Orientée vers le midi, coiffée