c’est que l’adjuration à saint Yves-de-Vérité n’a pas perdu tout crédit près des fidèles et que M. Jobbé-Duval s’est un peu trop hâté d’annoncer sa fin. J’ai connu à Ploumanac’h un « voueur » nommé Job Le M… qui, à deux reprises, en 1897 et en 1900, s’est adressé au Justicier incorruptible ; je pourrais citer encore à M. Jobbé-Duval un certain G…, de Perros-Guirec, qui, lésé ou se prétendant lésé par une décision de la municipalité touchant un fossé qu’il revendiquait et dont celle-ci s’était emparée, « voua » en
elles se rendirent devant la statue du saint et allumèrent une
chandelle sur son if. « Quand cette chandelle aura cessé de
brûler, dirent-elles, l’abbé Kerlo aura cessé de vivre. » Et les
choses se passèrent comme elles l’avaient dit. Au moment où
la chandelle s’éteignait, M. Kerlo, qui était en train d’enfiler sa
soutane, fut pris d’une défaillance subite. Il n’y eut pas de messe
ce jour-là à Trédarzec. »
Mon interlocuteur ajoutait qu’à la suite de ce scandale, l’autorité
ecclésiastique, pour couper court aux étranges pratiques
dont elle était le prétexte, avait décidé d’enlever la statue, de
l’église et de la cacher dans le grenier de la cure. Ceci, comme on
vient de le voir, est en contradiction avec la déposition de
Catherine Le Corre, qui dit que la statue fut transportée dans
le grenier après le décès du sacristain. L’opinion publique, quoi
qu’il en soit, ne se montre nullement hostile aux pèlerines qui
continuent, malgré la défense du clergé, à invoquer saint Yves-de-Vérité :
j’ai cru distinguer chez mon interlocuteur et chez
d’autres une secrète sympathie pour ces suprêmes représentantes
d’un ordre de choses aboli. Ce n’est pas la première fois que les
puissances populaires et occultes entrent en lutte avec l’autorité
ecclésiastique et ce n’est pas la première fois non plus qu’on
verrait les fidèles, dans cette lutte, prendre parti contre l’Église.
Tant le vieux fond celtique et païen reparaît facilement chez les
Bretons sous le vernis, déjà si fortement écaillé, de l’éducation
romaine !