Page:Le Grand Albert - La Vie des Saints.djvu/191

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de ce que l’Ange leur en avoit dit. L’enfant aussi croissoit en âge & en vertu, c’estoit merveille de voir des mœurs si graves en une si tendre jeunesse, & en un jeune corps d’enfant un esprit de vieillard, meur & rassis. Estant garçon, il fuyoit les esbats, jeux, devis & legeretez de ceux de son âge, son esprit se portant à chose plus relevée. Sa bonne mere, le voyant si ployable & apte à recevoir les impressions de la vertu, memorative aussi du commandement que l’Ange luy en avoit fait, se mist en soucy de l’envoyer à saint Germain, Evesque de Paris, pour estre par ce saint Prelat enseigné, tant és bonnes mœurs & Religion Chrestienne, qu’és bonnes lettres & sciences ; mais le pere s’opposa au dessein de sa femme, ne voulant oüyr parler d’envoyer Brieuc si loin, de peur, nommément, qu’il ne luy prit envie de se faire Prestre ou Moyne.

IV. Sur ces entretiens, l’Ange retourne vers Cerpus, le reprend fort rudement d’estre toûjours incredule & de resister à la volonté de Dieu ; luy enjoignant, sous grosses menaces, d’envoyer promptement son fils à Paris vers S. Germain. Cette reprimende épouventa tellement Cerpus, que, sans délay, il envoya Brieuc à Paris fort bien accompagné de train & serviteurs. Incontinent que saint Germain l’apperceut tout de loin, il conneut, par inspiration divine, qui etoit ce jeune Enfant ; de quels parens & Païs ; pourquoy il etoit là venu, & quel il seroit un jour. Brieuc, arrivé dans la salle du Manoir Episcopal, se jetta humblement aux pieds du saint Prélat, lequel aperceut un Pigeon blanc descendre du Ciel & se reposer sur le chef de ce saint Enfant ; de quoy S. Germain loüa Dieu, qui, par ce signe visible, donna à connoistre l’état qu’il faisoit de ce Saint, lequel il avoit prévenu de ses Graces.

V. Incontinent après le départ de ceux qui l’avoient amené, saint Germain le fit aller en Classe parmy les autres Enfans qu’il instruisoit, où il fit preuve de son bel esprit ; car, en un jour, il aprit tout son Alphabet, &, en cinq mois, tout le Psautier par cœur, pour mieux pouvoir chanter les loüanges de Dieu dans l’Église avec les autres Freres. Il estoit fort charitable aux pauvres, leur donnant tout ce dont il pouvoit disposer, ne les pouvant voir sans leur donner quelque chose. N’estant encore âgé que de dix ans, il fut envoyé, un jour, querir de l’eau à la fontaine ; ayant rencontré au chemin, des lepreux qui luy demanderent l’aumône, n’ayant autre chose que leur donner, il leur laissa la Cruche qu’il avoit entre mains & s’en retourna au Monastere de Saint Symphorian (c’est aujourd’huy S. Germain des Prez lés Paris), sans apporter de l’eau ; les autres enfans l’accuserent aux Religieux, & eux au saint Evesque & Abbé, dont Brieuc averty se transporta à l’Église, presenta son humble priere à celuy pour l’amour duquel il avoit aumôné la cruche, & se levant de son oraison, trouva prés de soy une autre plus belle sans aucune comparaison, d’airain, artistement élabourée, laquelle il porta à son pere Abbé, luy declara toute l’histoire, attribuant le miracle à l’aumône & non à ses merites.

VI. Saint Germain, connoissant par ce miracle la Sainteté de son disciple Brieuc, l’estima de plus en plus ; aussi Dieu le manifestoit-il par grandes merveilles. Un jeune homme ayant esté fort mal mené par un diable qui luy estoit apparu en forme de dragon & le tenoit obsedé, fut, par la priere de saint Brieuc, entierément delivré. Agé seulement de douze ans, il commença à matter sa chair par des jeûnes extraordinaires ; car il demeuroit par fois deux, mesme trois jours sans manger. Il eût un grand desir de s’en aller au desert ; mais son Pere Abbé ne luy voulut pas permettre, à cause de son bas âge. Ses Oraisons & Contemplations étoient ferventes & frequentes, sa charité tres-grande, sa patience admirable ; tellement absorbé en Dieu, qu’il ne respiroit autre chose ; tres-grand ennemy de la proprieté & soin desordonné des choses temporelles ; ayant toûjours en bouche ce dire de Nostre Seigneur : « Ne soyez en soucy du lendemain. » Le temps qu’il n’estoit au Chœur avec les autres, ou en ses Oraisons particuliéres,