volant par tout le pays, fit que cette forest fut, dans peu de jours, peuplée & enfin toute abbatuë, puis convertie en une Ville qui y fut édifiée & appellée du nom de son premier Pasteur Saint-Brieuc. Vivant en ce Monastere avec ses Freres, Dieu le rendoit illustre par plusieurs grands miracles ; entre autres, luy fut amené un pauvre homme aveugle, lequel, par sa priere, il guerit.
XIII. Ne pouvant la Cité sise sur la montagne estre longuement cachée, ny le flambeau allumé demeurer sous le muids, Dieu voulut que son serviteur Brieuc parust en son Église, pour regir ceux lesquels il avoit converty à la Foy. Il fut donc, d’un commun consentement de tout le pays, éleu Evesque du Brioçois & sacré, & son Monastere converty en Cathedrale. De sçavoir en quelle année precisément, sous quel Souverain Pontife il fut élû & les autres particularitez qui avinrent à l’érection de ce nouvel Evesché, je n’ay pû, jusques à present, rien trouver de certain ; ceux mesme qui, ces années derniéres, ont extrait sa Vie des Archives de sa Cathedrale n’en disent rien ; bien pouvons nous asseurer qu’il fut le premier Evesque de S. Brieuc (1) & qu’il exerça dignement cette charge quelques années ; il assista le Comte Rigual à sa derniére maladie & fit faire prieres & chanter des services pour le repos de son Ame.
XIV. Le temps estant venu auquel Dieu le vouloit recompenser de ses travaux, il luy fit sçavoir, par revelation, qu’il se tint prest pour quitter la prison de son corps. Il se coucha donc sur son pauvre grabat, &, ayant convoqué tous ses Religieux, leur enjoignit un jeusne de six jours, les admonestant, pendant ce temps, de veiller & prier extraordinairement ; &, sentant sa maladie se rengréger, se confessa generalement, receut le saint Viatique & le Sacrement d’Extréme-Onction, exhorta ses Freres à l’Observance de la Regle & de leur profession, eux fondans en larmes prés de sa couchette ; enfin, sentans les approches de la mort, le cœur, les mains & les yeux élevez au Ciel, où il avoit ancré toutes ses esperances, prononçant le S. Nom de Jesus, il rendit son bien-heureux esprit és mains de son Createur, le 90. an de son âge, & de N. Seigneur l’an 614.
XV. Les nouvelles de sa mort entenduës, une grande affluence de peuple de toutes parts aborda le Monastere pour visiter ce S. Corps ; lequel, pour satisfaire à la devotion du peuple, fut posé en veuë dans une salle du Monastere du Manoir Episcopal, revétu de ses ornemens Pontificaux, répendant une suave odeur par toute la Salle. Dieu fit en ce lieu plusieurs miracles, en témoignage irreprochable de la sainteté de son serviteur ; laquelle il manifesta de plus à deux saints Religieux d’outre-mer, l’un nommé Marcanus, qui, le mesme jour & à mesme heure que saint Brieuc deceda, vid son Ame, sous la figure d’une belle Colombe blanche comme neige, portée au Ciel par quatre Anges en forme d’Aigles si brillans, qu’avec grande peine les pouvoit-il regarder ; l’autre Religieux s’appelloit Simanus (2), Disciple de saint Brieuc, demeurant dans le Monastere que le Saint avoit basty en la Province de Cornoüaille en l’Isle, lequel eut presque la mesme vision, à mesme jour & à mesme heure que Marcanus ; &, pour mieux s’en asseurer, passa la mer & vint au Monastere de S. Brieuc & raconta sa vision, qui fut telle : Il vid une belle eschelle, laquelle touchoit le Ciel d’un bout, &, de l’autre, la Terre ; par laquelle montoit cette Ame bien-heureuse au Ciel, accompagnée d’une troupe d’Anges, lesquels, départis en deux Chœurs, partie la précedoient, autres la suivoient, chantans un motet si melodieux, qu’il en fut tout ravy & extazié. Il raconta aussi qu’en ce sien dernier voyage le vaisseau s’estant élargy en pleine mer, comme il se fut retiré dans la poupe, le diable le saisit au collet, s’efforçant de l’étrangler, mais qu’ayant invoqué saint Brieuc en son cœur & de bouche en tant qu’il pouvoit, l’ennemy pris la fuite & le quitta.