XVI. Enfin, ils enterrerent ce S. Corps fort solemnellement dans l’Église de son Monastere, par luy bastie & dediée à S. Estienne. La renommée de sa Sainteté s’épandit si loin, qu’au bout de l’an, au jour de son decez une innombrable multitude de Peuple de diverses langues & nations vinrent visiter son Tombeau ; lesquels, par les merites du Saint, obtenoient plusieurs faveurs du Ciel. Grand nombre de miracles s’y sont faits en divers temps, entr’autres, y fut amené un pauvre homme, semblant une masse de chair ou de peau sans os ny nerfs, ne se pouvant aider ny des pieds ny des mains, ne pouvant durer ny sur bout ny couché, traisnant ainsi miserablement sa pauvre vie, aprés avoir dépensé tout son bien en Medecins, qui ne pûrent en rien remedier à son mal ; il se Confessa & Communia, &, ayant prié au Sepulchre du Saint, il se sentit tout incontinent entierement guery & s’en retourna en sa maison sain & gaillard. Le Moyne Simanus, dont nous avons parlé cy-dessus (qui demeura quelques années au Monastere de saint Brieuc) vid ce miracle de ses propres yeux, vid le patient en sa maladie, & puis l’a veu sain & gaillard & a laissé ce miracle par écrit. Pour les miracles que Dieu faisoit à son Sepulchre, par commune deliberation du Metropolitain, de l’Evesque & de tout le Clergé, fut son saint Corps levé de terre & ses saintes Reliques déposées en des riches reliquaires & exposées au peuple pour estre honorées comme Reliques d’un Saint.
XVII. L’Église Brioçoise & toute nostre Bretagne posseda ces saintes Reliques, jusqu’à ce que le Roy Heruspée, fils du grand Neomene, les fit transporter de saint Brieuc à Angers & les donna à l’Église Abbatiale des saints Serge & Bacche (qui, pour lors, estoit sa Chapelle) où ils demeurerent jusques au regne du Duc Pierre I. du Nom, dit Mauclerc, que Pierre, Evesque de S. Brieuc, voyant que son Église n’avoit aucune Relique de son saint Patron, qu’une Mitre & une Clochette, &, ayant appris que son Corps avoit esté transporté en ladite Abbaye, de l’avis des Chanoines & autres principaux membres de son Clergé, il alla à Angers, l’an 1210, & découvrit son dessein à l’Evesque dudit Angers, Guillaume de Chemillé, le supliant de l’assister de son credit, en une si sainte entreprise. L’Evesque d’Angers luy promit qu’il y feroit son pouvoir, &, dés le lendemain alla avec luy à saint Serge, où ayans salué l’Abbé, ils le supplièrent d’assembler ses Religieux en Chapitre ; ce qu’ayant fait, l’Evesque de saint Brieuc leur fit une docte harangue, les suppliant, en conclusion, de luy accorder quelque honeste portion du Corps de saint Brieuc, promettant, s’ils luy donnoient ce contentement, que « son Église Cathedrale & leur Monastere s’uniroient trés-étroittemént d’une alliance perpetuelle & inviolable, se porteront ayde, recours & faveur respectivement les uns aux autres, & que, doresnavant, on feroit en sa Cathedrale les Obseques des Abbez de leur Monastere, avec la mesme solemnité que celles des Evesques. » L’Abbé ayant entendu discours, se trouva en grande perplexité, ne sçachant à quoy se résoudre ; car il craignoit, d’un costé, d’entamer ce saint Corps, conservé en son entier depuis tant d’années, &, de l’autre, de mécontenter un si digne Prélat en un si juste sujet. Toutesfois, la chose meurement considérée, il fut arresté, d’une commune voix, qu’on satisferoit à sa requeste.
XVIII. Cette resolution prise, la nuit suivante, aprés Matines, les Religieux s’estans retirez en leurs Cellules, l’Abbé & les Peres Discrets du Monastere, revétus d’Ornemens Ecclesiastiques, entrerent en l’Église, &, en presence des deux Evesques, descendirent la Chasse d’Argent dans laquelle estoit le saint Corps. Si-tost que l’Orphévre l’eut ouverte, une agreable odeur procedant de ses membres sacrez, récrea toute l’assistance. Alors, le venerable Abbé, s’approchant, ouvrit une nappe de Serf, dans laquelle le saint Corps estoit enveloppé, duquel il print un Bras, deux Costes & quelque peu de la Teste & les donna à l’Evesque Pierre present, tout ravy & transporté d’aise. En la mesme Chasse, se trouva une table de Marbre, en laquelle estoient gravez, en lettres d’or, ces mots : Hic jacet corpus beatissimi Confessoris Brioci Episcopi Britanniae, quod detulit ad Basilicam istam (quae tunc