Page:Le Grand Albert - La Vie des Saints.djvu/207

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grâces après la Messe, une belle Colombe, environnée d’une grande clarté, s’estant reposée sur son chef, s’envola sur le grand Autel & y demeura quelque temps, puis disparut. Disant le Confiteor & le Canon de la Messe, il sentoit de grandes consolations spirituelles, &, à la prise de l’Hostie, il versoit de ses yeux un ruisseau de larmes. Une fois, lorsqu’il tenoit le Corps de Nostre Seigneur, il apparut un globe de feu à l’entour, lequel, ayant paru autour du Calice, disparut incontinent. Ayant entendu qu’un jeune homme vouloit entrer en procez contre sa mere, il les manda un matin & tascha à les mettre d’accord ; mais voyant qu’ils n’en vouloient rien faire, il les pria de l’attendre un peu, ce qu’ils firent, &, ce pendant, alla dire la Messe, en laquelle ayant prié pour eux, il fut exaucé ; car, quand il s’en retourna vers eux, il les trouva avoir changé de volonté & les accorda sur le champ.

XV. Il estoit doüé d’une grande humilité ; il ne vouloit aucunement estre loüé ny estimé ; moins encore luy arriva-t-il jamais aucune parole qui pûst tourner à sa propre gloire ; &, encore bien qu’il fust si signalé en science & sainteté, il se maintenoit toujours en une si profonde humilité, comme si c’eust esté le plus ignorant de la terre. De cette humilité procedoit le peu de cas qu’il faisoit de sa propre personne ; il alloit à pied, sans vouloir user de monture, mesme accompagnant l’Evesque de Treguer en ses visites ; pour vestement, il portoit sur sa chair nuë un aspre Cilice & par dessus une chemise de grosse toile d’étouppe, laquelle, le plus souvent, il mouilloit avant que de la vestir, pour plus s’incommoder. Il print l’habit du tiers Ordre de Saint François au Convent de Guengamp, s’accoustra d’une robbe de grosse bure grise & d’un capuchon de mesme estoffe, si vile & si commune, que l’aune ne coûtoit que deux sols six deniers ; &, pour toute chaussure, portoit des sandales comme les Freres Mineurs. Quand quelques Religieux se presentoient pour prescher aux lieux où il s’estoit disposé de prescher, leur cedoit la Chaire, disant n’estre digne de parler en leur presence ; sur quoy se sont rencontrées plusieurs saintes contestations entre luy & plusieurs bons Religieux, avec grande édification des assistans.

XVI. Dès qu’il estoit étudiant à Paris, il commença à s’abstenir de chair, donnant sa portion aux pauvres ; estant à Orleans, il commença aussi à s’abstenir de vin & jeûner tous les Vendredys, &, quelque temps aprés, il commença à ne manger que du pain de seigle, d’orge ou d’avoine, & souvent demeuroit un jour tout entier, quelque fois cinq, quelque fois sept, sans rien manger du tout, ravy en contemplation, & neanmoins estoit aussi frais & dispos, que si tous les jours il eust fait grand chere. Dés l’an 1289, quinze ans, avant sa mort, il changea entierement de vie, & redoubla ses austeritez, car, dans ce temps il jeûna trois jours la semaine au pain & à l’eau, les Mercredys, Vendredys & Samedys, les Quatre-Temps & Vigiles de N. Dame & des douze Apostres, les Avents & onze Caresmes, tous les jeûnes de l’Eglise & les dix jours qui sont depuis l’Ascension de Nostre Seigneur jusques à la Pentecoste ; les autres jours, il ne mangeoit qu’une fois le jour du pain de seigle, d’orge ou d’avoine, jamais de forment, & du potage de gros choux, raves ou féves, avec du sel ; rarement il y mettoit un peu de farine ou de beurre ; les jours de Noël, de Pasques, de Pentecoste & de Toussaints, il mangeoit deux fois le jour ; &, le jour de Pasques à son disné, il mangeoit des œufs ; de chair ny vin jamais, du poisson très rarement ; il ne dormoit qu’un peu devant l’Aurore, pour se disposer — dire la Messe, passant le surplus de la nuit à prier, lire les Saintes Escritures, assister les malades moribonds, ou telle autre sainte action. Son lict ordinaire estoit un peu de paille épandue sur une claye tissuë de grosses verges, ayant sous sa teste une Bible ou quelque grosse pierre ; souvent il couchoit sur quelque banc ou platte terre, dans la Sacrisie de l’Eglise Cathedrale de Land-Treguer, pour empescher les violences des Officiers du Duc, qui, à tous coups, vouloient de force enlever le Thresor &