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SERMON DU PAPE CLEMENT SIXIESME


A la Canonization de Saint Yves.

Habitation de Sion, éjoüis-toy & chante loüange, parce que le grand Saint d’Israël est au milieu de toy[1]. Le Bien-heureux Saint Yves, Prestre du Diocese de Treguer, s’éjoüit en la gloire ; il se réjoüit en sa couche & possede une joye par dessus route joye ; hors laquelle, il n’y en a point d’autre ; joye qui se prend, non de la creature, mais bien du Createur.

Laquelle, une fois acquise, ne se perd jamais ; en comparaison de laquelle toute autre joye est tristesse, toute autre douceur amertume, toute autre delectation peine et ennuy ; joye qui égaye & réjoüit les plus affligez, dont ce saint joüit au Ciel, & peut à bon droit dire, avec le Prophete Isaye : M’éjoüissant, je m’éjoüiray en mon Seigneur, & mon Ame sera joyeuse en mon Dieu ; car il m’a vetu d’accoûtremens de salut et m’a environné d’accoutremens de justice, comme un espoux orné de sa Couronne & une espouse parée de ses affiquets[2]; & parlant de la Mystique habitation de Sion, qui est l’Eglise Militante, dit : le Roy m’a fait entrer dans ses Celliers[3].

Nous doncques qui sommes en l’Eglise Militante, répondons-luy: « Nous nous éjoüirons & récréerons en toy, ayant souvenance de tes mamelies ; beauconp plus délicieux que le vin, les justes et les droitturiers l’ayment ![4] &, de fait, éjoüissons-nous, émeus de la fraternelle charité, qui est une mesme en ce monde & au Ciel, & ne déchoit jamais [5]. Conservons-la donc de notre part, & nous réjoüissons, avec les Anges et les Saints, de son bon-heur, selon le conseil que nous donne l’Apostre ; & plus particulièrement encore, de ce que c’est un d’entre nous, lequel nous ayant instruits par ses vertus & ravis par ses miracles, a pris place en la Cour Celeste & nous peut beaucoup ayder par ses merites, nous peut donner du laict de ses mammelles, je veux dire, nous soulager par ses saintes consolations, compassion & misericorde : « loüns le Seigneur en son Saint ; loüons sa vie magnifique, sa conversation pacifique, sa grande seureté, après tant de dangers évitez ![6] »

Loüons le bon-heur de ce sage Pilote de Jesus-Christ, lequel, après tant d’orages tempestueuses de la mer de ce monde, a conduit son Navire au port tant desiré ! Loüons ce grand Capitaine de toutes vertus, lequel, après avoir vaillamment combattu & triomphé, maintenant est, & à jamais sera en gloire. Imitons-le selon nostre pouvoir, comme bons & fidels serviteurs de nôtre Seigneur Jesus-Christ, qui se réjoüit infiniement pour le salut de cette Ame, pour laquelle il a épandu son Sang ; car s’il se réjoüit du retour & conversion du pecheur[7], figuré par l’Enfant Prodigue, bien que le pecheur qui fait encore Penitence soit incertain de la gloire, & ne se puisse asseurer d’avoir le don de perseverance, à plus forte raison se réjoüit-il de voir l’Ame du juste qui monte du desert de ce monde abondante en delices appuyée sur son amy[8], c’est à dire, sur les mérites de la Mort & de la Passion de son Sauveur, &, par le moyen d’icelle, douée d’une gloire certaine & qui n’aura point de fin. L’Espoux se réjoüit de son Espouse ;

  1. Exulta et lauda habitatio Sion, quià magnus in medio tui sanctus Israel. Isaie, 12 v. 5. — A.
  2. Isaie c. 61, v. 10.
  3. Cant. c. 2, v. 4. — A.
  4. Cant. 1. 3.
  5. I. Cor. c. 13, v. 8.
  6. Psalm. 150 : Laudate Dominure in sanctis ejus. A.
  7. Luc. 15. A.
  8. Cant. 8. A.