LA VIE DE S. SALOMON.
dégradé de l’Empire l’an 839, Neomene, qui estoit son Lieutenant général en Bretagne, à l’instante requeste des Estats du Pais, secoua le joug étranger, se fit déclarer & Couronner Roy de Bretagne, cassa & annulla tous les exploits que les Empereurs y avoient fait, donna la chasse aux garnisons Françoises & asseura l’Estat de son Royaume. Charles le Chauve, Roy de France, à qui estoit écheuë cette partie de France, qui estoit entre la Meuse & la Mer, par accord fait entre luy & ses deux frères Lothaire & Louys, s’arme & l’an 844, marche contre le Roy Neomene pour ravoir ce qu’il prétendoit luy avoir esté osté le Roy Neomene l’alla rencontrer, ayant en son Armée nôtre Salomon, en qualité de son Lieutenant General, luy livre bataille entre le Mans & Chartres, le défait & tue grand nombre de ses gens ; Salomon poursuivit Charles, qui s’enfuit à Chartres, mais de si prés, qu’il pensa entrer dans Chartres pesle-mesle avec les fuyards du depuis il porta toujours les armes & assista le Roy, son Oncle, en toutes ses guerres & conquestes. II. Ce jeune Prince se promettoit bien, après le decez de son Oncle, d’estre son successeur au Royaume, comme représentant l’aisné des deux Frères ne considevant pas que le Roy son Oncle avoit conquis le royaume, & iceluy ravy, à force d’armes, des mains des étrangers, & non qu’il luy fust escheu par succession héréditaire mais le Roy mort l’an 862, il se vid déboutté par le Couronnement de son Cousin le Prince Heruspée(Y), fils du deffunt, que tous les Estats acceptèrent & proclamèrent Roy. Salomon se tint extrêmement offensé de cet affront (comme il s’imaginoit), &, oubliant tout le bon traittement qu’il avoit receu en la maison du deffunt, son Oncle, & les courtoisies qu’il en avoit receuës, s’accosta de certaines gens débauchez et pervers, avec lesquels il conspira de tuer le Roy son Cousin, faisant des monopoles & sourdes menées, pour plus à couvert, joüer son coup. Il dissimula cette haine fort adroittement, l’espace de quatre ans, vivant en la Cour du Roy, son Cousin, sans soupçon, ny défiance aucune, aux charges les plus honorables du Royaume mais la Reyne Marmonlhereth ayant accouché d’un beau Prince, sur la fin de l’année 865, Salomon, voyant la Couronne asseurée dans la maison de son Cousin, se hasta de joüer son coup il amasse son monde, les arme, &, un jour que le Roy alloit à la Messe, suivy seulement de ses Gardes & Domestiques, il l’attaque, criant « à mort, à mort le Tyran ! ». Le Roy, tout effrayé, se jette dans l’Église, où Salomon, tout boüillant de courroux, le poursuivit, l’espée en main, &, le trouvant réfugié au pied de l’Autel, sans respect de Dieu, du lieu Saint, ny de la Majesté Royale, l’y tue, au commencement de l’an 866. Incontinent, Salomon se saisit du Palais & des Personnes de la Reyne & du petit Prince son Fils, &, ayant convoqué les Estats du Pays, s’en fit Couronner Roy.
III. Si est-ce que d’un commencement si mauvais il avint une fin toute contraire, contre l’opinion de tout le monde, car, dés aussitost qu’il eut pris le Diadéme et fut proclamé Roy, ce ne fut plus luy il fut changé en un autre homme il devint extrêmement devot & Religieux, affectionné & respectueux vers l’Église, exact à rendre la Justice, bon envers son peuple, aymé & chery de tous ses Sujets. Le Roy de France, Charles le Chauve, averti de tout ce changement, se présenta en armes sur la frontière ; mais, ayant entendu que l’armée de Bretagne le venoit trouver, il se retira. Le Roy Neomene avoit banni de leurs Sièges Actard, Evesque de Nantes, Suzan, Evesque de Vennes, Felix, Evesque de Cornoûaille, Liberal, Evesque de Léon, & Salaçon, Evesque d’Aleth, pour avoir esté atteints & convaincus de Simonie (comme nous avons dit en la vie de Saint Convoyon, cinquiéme Janvier ;) le Roy Heruspée, son Fils, n’en rapella aucun, horsmis Actard, Evesque de Nantes, parce qu’ainsi avoit esté accordé entre luy & Charles le Chauve, qui, à cette condition, accorda de ne plus rien prétendre au Comté (1) Erispoé.