Page:Le Grand Albert - La Vie des Saints.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LA VIE DE S. THURIAN.

III. Un jour Tiairmaillus, ou Armahel, Archevesque de Dol, passant par devant le champ où il gardoit ses brebis & l’entendant chanter si mélodieusement une chanson spirituelle, le voulut voir il luy fut aussi-tost amené couvert de ses petits haillons de l’astre le bon Prélat, voyant son port grave, sa douceur & simplicité, en eut incontinent bonne opinion, alla trouver son maistre & fit tant, qu’il l’obtint de luy & l’amena à Dol, le mettant dans le Monastere avec les autres jeunes Clercs, où il s’adonna, à bon escient, à l’étude de la vertu principalement, & puis aussi des bonnes lettres il fut fort soigneux de conserver les lys de la chasteté (qu’il garda entière jusqu’à sa mort) ; son humilité estoit très-profonde une simplicité si naïfve & innocente, que c’estoit merveille bref, il profita si-bien dans ce Monastere, que l’Archevesque, l’ayant promeu, d’Ordre en Ordre, jusques à la Prestrise, le fist Abbé dudit Monastere & Superieur des autres Clercs à laquelle Dignité se voyant élevé, il s’humilioit & s’abaissoit en soy-mesme, sans en rien se préferer à ses compagnons.

IV. L’Archevesque, admirant le progrez que son bien-aymé Thurian faisoit, de jour à autre, en la vertu, & la sainteté de la vie qu’il menoit (1), & se voyant déjà vieil & indispos, du conseil & consentement des Chanoines, l’associa à sa Charge & le fit son Suffragant, au grand contentement de tout le peuple, qui connoissoit les vertus & belles parties dont son Ame estoit avantageusement partagée ; aussi Dieu le rendoit recommandable par des œuvres merveilleuses & guerisons miraculeuses, car, à la seule invocation du nom de Dieu, il guerissoit les malades. Enfin, le bon Prélat Armahel estant decedé, il fut assis en la Chaire Archiepiscopale de Dol, du consentement des autres Evesques de Bretagne & de tout le Clergé & le peuple. Il y avoit, aux confins de l’Evesché de Dol, un puissant & riche Seigneur, mais fort meschant, furieux & cruel, & se nommoit Rivallon, lequel, sans aucun sujet, par une pure malice ou forcenerie, mist le feu dans un Monastere, qui étoit dépendant de celuy de Dol, brûlant tous les ornemens & ustanciles de l’Église mais il y arriva un grand Miracle, à sa confusion, c’est que le Missel où estoient les saintes Évangiles, ayant esté laissé sur l’Autel, ne fut point offensé du feu, sauta de l’Autel & se vint miraculeusement rendre aux Religieux, qui estoient dans leur jardin, voyans brûler leur Monastere.

V. Saint Thurian, ayant eu nouvelle de cét accident, & averty qui en avoit esté le boute-feu, ayant choisi douze de ses Religieux, l’alla trouver au village, nommé lors La Kalrut (2) ; luy, voyant le saint Prélat arriver, pressé de sa mauvaise conscience, se douta bien pour quel sujet il le venoit trouver, &, tout tremblant, se jetta à ses pieds. Le saint Prélat, l’ayant levé, le reprit rudement de ce qu’il avoit brûlé l’Église & Monastere de saint Maokus ; le pauvre homme fut si vivement touché de cette reprehension & des paroles du saint Prélat, qu’il promit, si Dieu luy donnoit la vie, de rendre sept fois le double audit Monastere. Saint Thurian se mist en prieres à son intention, & voilà (chose admirable) qu’une très-claire & brillante colombe, laquelle répendoit des rayons & une extrême clarté par toute la maison, descendit & se reposa, quelque temps, sur l’épaule du Saint, luy parlant en l’oreille s’estant levé de son Oraison, il se tourna vers Rivallon & luy dit que Dieu avoit eu pitié de luy & que l’Archange saint Michel luy avoit revelé que Dieu luy donnoit encore sept ans de vie pour mettre à exécution la penitence qu’il luy enjoindroit & rebastir le Monastere qu’il avoit brûlé, dont le Saint estoit fort soigneux de l’en avertir, quand il s’en oublioit.

(1) Ce n’étaient point seulement ses qualités surnaturelles qui lui avaient valu la sympathie de ce bon piélat, niais aussi ses heureuses dispositions musicales, et la voix raissante dont le petit pâtre avait autrefois fait retentir les échos de l’immense forêt. Il n’était encore qu’un enfant a l’époque où l’e, èque le prit en amitié et l’emmena du monastere do Buulon a l’évêché de Dol. A.-M. T.

(2) Lan-Cainfront, c’est-a-dire le lann (monastere) du ruisseau courbe.