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LA VIE DE S. THURIAN.

VI. Pendant qu’il preschoit son peuple, le jour devant l’Ascension, és Rogations, en la grande place devant l’Église Metropolitaine de la ville de Dol, élevant les yeux en haut, il vid les Cieux ouverts & nostre Sauveur Jésus-Christ à la dextre de Dieu son Pere & les Anges qui portoient, en solemnelle Procession, l’Arche du Testament par le Ciel ce que voyant, il s’écria « Or, je voy le Ciel ouvert & les Anges du Seigneur portons l’Arche dit Testament ; » ce qu’entendant tout le peuple, se prosterna à genoux, & le saint Prélat fist planter, au même lieu de cette vision, une belle Croix de pierre de taille &, de cette vision, prit la pieuse Coutume, qui dure encore maintenant en basse Bretagne, de porter, avec grande devotion & reverence, les saintes Reliques, les jours des Rogations, és processions & supplications publiques (1). Il rendit la vie à trois morts entr’autres, à une jeune fille, nommée Meldoc, fille d’un personnage appellé Guiridgal ; ce qui arriva en cette sorte Prcschant, un jour, prés du monastére de la ville de Kerfcunteun, en présence d’une grande multitude de peuple, il vid passer, là auprès, le corps mort de cette pauvre fille qu’on portoit en terre, suivy de ses parens, fort désolez le saint Prélat envoya leur dire qu’ils s’arrestassent là, sans passer plus outre, jusqu’à ce qu’il eust fini sa Prédication, à quoy ils obéirent. Descendant donc de sa chaire, il se jetta à genoux & fit sa prière, en cette forme « Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, Créateur du Ciel & de la terre, qui avez ressiiscité la fille du Prince de la Synagogue, je vous supplie humblement de ressusciter cette pauvre Fille pour l’honneur & gloire de vostre Nom, en présence de lotit ce peuple, à celle fin qu’il loue & glorifie vostre saint Nom, par fous les siècles des siècles, Ainsi soit-il. » Puis, prenant la defunte par la main, il la leva du cercueil & la rendit vive à ses parens, lesquels remercièrent Dieu & le Saint de cette faveur.

VII. Ayant saint Thurian, quelques années, regy en grande sainteté l’Église de Dol, comme Metropolitaine de la Bretagne, Dieu, le voulant récompenser, l’appella à soy le 13. Juillet, environ l’an de salut 749. Son Corps fut solemnellement ensevely dans son Église Metropolitaine de Dol, où Dieu, par de grands miracles, manifesta la gloire de son serviteur. Mais les Normands, ravageans la Bretagne l’an 878, son saint Corps fut porté en l’Abbaye de Saint-Germain des Prez les Paris, où il estoit conservé en grand honneur, comme precieuse Relique ; par le moyen duquel, les Parisiens ont souvent experimenté la misericorde de Dieu & ont cette loüable coustume à Paris, quand la scicheresse est excessive, de porter en solemnelle Procession le Corps de saint Thurian, &, par son intercession, ils obtiennent de la pluye.

VIII. Quand on commença premièrement à célèbrer la Feste de saint Thurian dans la Ville de Paris, après que les Saintes Reliques y furent apportées, un certain Architecte, qui travailloit à l’édifice de l’Église de saint Estienne à Paris, entendant le Crieur recommander, à son de clochette, la Feste dans la ruë, demanda que c’estoit ; on luy dit que c’estoit la Feste du Glorieux Prélat saint Thurian qu’on célèbreroit le lendemain, luy, qui n’avoit de coustume d’ouyr parler de saint Thurian, dont le nom luy estoit inconnû & qu’il tenoit comme pour Barbare, dit à ses massons qu’il ne quitteroit sa besongne pour chommer cette Feste & n’iroit, ce jour là à l’Église ; & les autres contredisans à ces paroles, il leur jura que, s’ils manquoient à venir, le lendemain, à leur besongne, il les chasseroit de cét ouvrage & leur feroit perdre leurs recompenses & salaires. Ces compagnons, ayans plus de soin de gagner de l’argent que de gagner les Pardons, ne chommèrent pas la Feste, pour ne déplaire au Maître Architecte, & se (1) Hélas non, ce pieux usage n’existe plus ; maintenant que le culte des saintes reliques est chez nous remis en honneur, n’y aurait-il pas lieu de revenir à la coutume si vénérable, et autrefois si universelle dont parle ici Albert Le Grand ? Si, de l’avis de tous, le peuple n’attache plus assez d’importance aux processions des Rogations, n’est-ce pas, peut-être, parce qu’on a enlevé aux grandes litanies leur solennité d’autrefois ? – A.-M. T.