Page:Le Grand Meaulnes.djvu/223

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magasin. Je voyais le doux visage enfantin de la jeune fille, ses yeux bleus si ingénus, et j’étais d’autant plus surpris de sa voix si nette, si sérieuse. Lorsqu’elle cessait de parler, ses yeux se fixaient ailleurs, ne bougeaient plus en attendant la réponse, et elle tenait sa lèvre un peu mordue.

— J’enseignerais, moi aussi, dit-elle, si M. de Galais voulait ! J’enseignerais les petits garçons, comme votre mère…

Et elle sourit, montrant ainsi que mes cousins lui avaient parlé de moi.

— C’est, continua-t-elle, que les villageois sont toujours avec moi polis, doux et serviables. Et je les aime beaucoup. Mais aussi quel mérite ai-je à les aimer ?…

» Tandis qu’avec l’institutrice, ils sont, n’est-ce pas ? chicaniers et avares. Il y a sans cesse des histoires de porte-plume perdus, de cahiers trop chers ou d’enfants qui n’apprennent pas… Eh bien, je me débattrais avec eux et ils m’aimeraient tout de même. Ce serait beaucoup plus difficile…

Et, sans sourire, elle reprit sa pose songeuse et enfantine, son regard bleu, immobile.

Nous étions gênés tous les trois par cette aisance à parler des choses délicates, de ce qui est secret, subtil, et dont on ne parle bien que dans les livres. Il y eut un instant de silence ; et lentement une discussion s’engagea…

Mais avec une sorte de regret et d’animosité contre je ne sais quoi de mystérieux dans sa vie, la jeune demoiselle poursuivit :