Page:Le Grand Meaulnes.djvu/260

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car le mal était déjà fait ; le cheval devait avoir un nerf foulé, quelque chose de brisé peut-être, car il se tenait piteusement la tête basse, sa selle à demi dessanglée sur le dos, une patte repliée sous son ventre et toute tremblante. Meaulnes, penché, le tâtait et l’examinait sans rien dire.

Lorsqu’il releva la tête, presque tout le monde était là rassemblé, mais il ne vit personne. Il était fâché rouge.

— Je me demande, cria-t-il, qui a bien pu l’attacher de la sorte ! Et lui laisser sa selle sur le dos toute la journée ? Et qui a eu l’audace de seller ce vieux cheval, bon tout au plus pour une carriole.

Delouche voulut dire quelque chose — tout prendre sur lui.

— Tais-toi donc ! C’est ta faute encore. Je t’ai vu tirer bêtement sur sa longe pour le dégager.

Et se baissant de nouveau, il se remit à frotter le jarret du cheval avec le plat de la main.

M. de Galais, qui n’avait rien dit encore, eut le tort de vouloir sortir de sa réserve. Il bégaya :

— Les officiers de marine ont l’habitude… Mon cheval…

— Ah ! il est à vous ? dit Meaulnes un peu calmé, très rouge, en tournant la tête de côté vers le vieillard.

Je crus qu’il allait changer de ton, faire des excuses. Il souffla un instant. Et je vis alors qu’il prenait un plaisir amer et désespéré à aggraver la situation, à tout briser à jamais, en disant avec insolence :