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licorne pailletée comme jamais animal fabuleux ne le fut, et Mlle Milhau éblouira à coup sûr ses compatriotes par des rivières, des cascades mêmes, de lumineuse verroterie. Il échoit en partage à Madame Rachel Rolland et à moi des oiseaux en satin jaune et bleu qui nous remplissent d’aise, en nous donnant la satisfaction intime de posséder enfin chacune l’oiseau rare.

Puis, autour de la table abondante et généreuse de M. l’abbé Forbes, nous nous rassemblâmes tous, une dernière fois, pour manger ensemble le plat de la sagamité. Je crois pouvoir assurer, au nom de mes compagnes d’excursion, que nous n’oublierons de sitôt cette heure charmante du soir, égayée par de francs éclats de rire et une joyeuse causerie.

Une halte encore au cabinet de travail de monsieur le curé de Caughnawaga, qui nous explique la poésie des prières iroquoises, et c’est fini la bonne après-midi : l’heure du départ a sonné ; nous repassons à travers le village iroquois, que les chiens fidèles gardent durant la nuit, et voilà Montréal où nous rentrons avec dans le cœur un souvenir de plus.

Françoise.


La Société Saint-Jean-Baptiste

(section des femmes)


ELLE n’est pas encore tout à fait organisée la Société de la Saint-Jean-Baptiste, section des femmes, mais elle le sera définitivement au moment où paraîtront ces lignes alors qu’aura eu lieu l’élection du comité exécutif qui devra en même temps préparer les règlements de la nouvelle association.

La première réunion des dames, appelées à faire partie de cette société vraiment nationale, n’a pas été aussi nombreuse qu’on aurait pu l’espérer. Il est vrai de dire qu’à cette époque de déménagements et de remue-ménage, les journées sont très prises à la maison. De plus, ces messieurs chargés de nous initier à la société ont beaucoup parlé — ils ont même parlé presque tout le temps — et comme résultat pratique, peu d’ouvrage a été taillé. Nous attendons avec impatience que les femmes prennent les rênes de leur nouvelle administration et qu’elles nous donnent un bon et solide programme des œuvres à réaliser et à utiliser.


Notre projet de Colonisation

À Mademoiseille Laure Conan.
(Suite)

Immédiatement après le retour d’Europe de S. G. Mgr l’Archevêque, la permission accordée, au directeur de l’œuvre, s’il veut bien faire cette grâce, de se rendre à son poste et l’exécution de quelques formalités d’ordre religieux et administratif, nous ouvrirons des listes de souscriptions. Avec votre concours bienveillant, Mesdames ! — Et si nous recueillons la somme suffisante et j’y compte absolument, on se mettra aussitôt au travail.

L’établissement comprendra trois mille cinq cents acres ; trente lots de cent acres seront tirés au sort et inscrits au nom de chacun des colons ; il en sera de même pour la location des habitations, car, ainsi que cela existe en France, et, généralement en Europe, toutes seront construites à proximité les unes des autres et constitueront une « commune ». Chaque maisonnette sera entourée d’un verger, d’un potager, d’un jardinet de fleurs, des écuries, remises et hangars, le tout couvrant une superficie d’environ quatre acres. L’école, plus tard, sera bâtie au milieu de la commune. Les terres en culture sur lesquelles se trouveront les granges destinées à recevoir les céréales, s’étendront autour de ce noyau d’habitations. Enfin, les terres boisées où l’on se procurera le matériel de chauffage borneront les terres en culture. Il n’y aura aucun inconvénient, en hiver, alors que les loisirs sont assez nombreux, d’aller chercher le bois à une certaine distance. Dans ces conditions, la vie sociale sera plus agréable ; le Canadien-français, vous le savez, aime la société et n’est pas bien seul ; il sera plus facile à chacun de se rendre à l’atelier commun dont je dirai un mot plus loin, où tous travailleront l’hiver ; enfin, l’école sera fréquentée plus assidûment. Trois ou quatre communes, plus tard, constitueront une paroisse.

Après la construction d’une série et d’une habitation très spacieuse, le premier terrain défriché sera celui d’une vaste ferme expérimentale avoisinant cette dernière et dont le revenu appartiendra à la « Maison. »

Chaque défricheur aura sa propriété bien délimitée où il pourra travailler seul, dès qu’il y en aura suffisamment en valeur, mais le défrichement se fera en commun. Personne ne l’ignore, un défricheur travaillant isolément a beaucoup de difficultés. Les lourds troncs d’arbres à entasser, les souches à extraire du sol, etc, etc, tout cela demande l’effort réuni de beaucoup de bras ; l’expérience a prouvé que dix colons travaillant en commun, défrichent trois fois plus rapidement dix lots de terre contigus que s’ils travaillaient, isolément, chacun pour soi.

L’abbé directeur s’occupera de l’économat, de la comptabilité, des études des jeunes gens, de leur direction intellectuelle et matérielle ; les deux autres prêtres, quittant après la messe basse, la robe sacerdotale, revêtiront la blouse du défricheur, se mettront à la tête des équipes de travailleurs et encourageront de leur parole et de leur exemple. On avisera pour les longs mois de l’hiver à fonder quelque industrie dont l’atelier serait dans la grande salle commune de l’habitation : fabrication de pelles, de brosses, de balais, de charrettes, ou d’autres choses (M. Gaston de Montigny dans son excellent livre « L’Étoffe du Pays » en a indiqué une grande variété.)

Les charpentiers et menuisiers travailleront constamment à l’édification des habitations des colons, qui devront être à la fois confortables, coquettes et badigeonnées en couleurs claires et gaies. Aux jours de pluie, alors que le défrichement et le travail sur les fermes seront impossibles, les défricheurs, adroits de leurs mains, comme tous les Canadiens, prêteront leur aide aux menuisiers et charpentiers et s’initieront aux secrets des métiers de ceux-ci, qui, à leur tour, au temps des premières semailles sur la cendre, « à la herse, » apprendront comment on devient cultivateur. Et nos hommes finiront par ressembler aux pionniers si débrouillards de l’Ouest américain, capables de ferrer un cheval, de bâtir une maison, de réparer une voiture ou un harnais, etc, etc.

Edmond de Nevers.
(à suivre.)