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  CHAPITRE XXVII. 301
  1. Vous dirai-je quels sont les hommes sur lesquels descendent les démons et qu’ils inspirent ?
  2. Ils descendent sur tout menteur livré au péché,
  3. Et enseignent ce que leurs oreilles ont saisi[1] : or la plupart mentent.
  4. Ce sont les poëtes, que les hommes égarés suivent à leur tour.
  5. Ne vois-tu pas qu’ils suivent toutes les routes[2] comme des insensés ?

  1. Les paroles du Koran lues au ciel, que les démons ont saisies par hasard.
  2. C’est-à-dire, ils s’abandonnent à leur imagination, et abordent toute sorte de sujets.
    De tout temps, les Arabes ont cultivé avec beaucoup de soin leur langue, aimé la poésie et honoré les poëtes. A Okadh, marché du Hedjaz, indépendamment des foires hebdomadaires, se tenait tous les ans une foire qui durait un mois. Là, au milieu des affaires de commerce, des poëtes accourus de tous les points de l’Arabie venaient réciter leurs poëmes (kasidah), chanter leurs exploits et leurs aventures, se provoquer à qui traiterait mieux tel sujet. C’était un tournoi poétique dont les nombreux auditeurs, citadins et bédouins, étaient les juges. Au plus digne était réservée la récompense de voir ses poëmes inscrits en lettres d’or et suspendus au temple vénéré de la Caaba. De là les sept poëmes le plus en vogue avant Mahomet sont appelés modhahhabat (dorés) et moallakat (suspendus). Les Arabes du désert excellaient surtout dans la poésie ; la langue s’est toujours conservée plus pure et plus correcte sous les tentes ; souvent une mère bédouine infligeait une correction douloureuse à son enfant coupable de quelque faute de grammaire. Mahomet devait à la vigueur de son langage, souvent poétique, une grande partie du succès qui couronna ses efforts ; il a même recommandé à ses compagnons de consulter les œuvres des poëtes arabes, et d’y chercher l’interprétation des mots ou expressions obscures du Koran. D’où vient donc que le prophète arabe a supprimé cette fameuse foire d’Okadh, et lancé un anathème contre les poëtes ? En voici la raison. Les Arabes du désert, en général, et parmi eux les poëtes, goûtaient fort peu le nouveau culte ; ils étaient attachés aux plaisirs de la vie nomade et accoutumés à ses peines ; indépendants, indociles à supporter un joug quelconque, braves, généreux, mais fiers et vindicatifs, toujours à la piste d’un ennemi pour venger quelque offense, ou sur les pas d’une beauté du désert, austères et sauvages comme Schanfara, aimant les plaisirs et la vie joyeuse comme Amrolkaïs, insouciants sur la vie future, sceptiques et épicuriens, ils n’étaient pas des premiers à suivre le nouveau prophète. Les poëtes cherchaient à perpétuer ces habitudes de la vie nomade ; Mahomet voyait dans ces instincts négatifs ou destructeurs un grand obstacle à l’établissement de sa doctrine morale et religieuse, et il les condamne. Si l’on ajoute à cela que la verve satirique de quelques-uns s’était exercée contre le nouveau prophète, on ne s’étonnera pas du jugement qu’il en a porté. Quelques historiens accusent Amrolkaïs d’avoir écrit des satires contre Mahomet, qui, à son tour, aurait chargé le poëte Lebid, nouveau converti, d’y répondre. M. de Slane, qui a publié les poésies d’Amrolkaïs, combat cette opinion, quant à Amrolkaïs et à Lebid ; il n’en est pas moins vrai que Mahomet avait à ses ordres quelques poëtes dévoués, et les versets 227 et 228 y font allusion. Il disait à Caab, l’un d’entre eux : « Combats les (les poëtes) avec tes satires, car, j’en jure par celui tient mon âme dans ses mains, les satires font plus de mal que les flèches. »