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Page:Le Ménestrel - 1896 - n°25.pdf/4

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LE MÉNESTREL

Robin, le chevalier a reparu. Il devient plus pressant, Marion résiste plus vivement : mais voici Robin de retour : le chevalier ne craint pas d’employer la violence ; il frappe Robin du plat de son épée et enlève Marion. Celle-ci se débat ; elle finit par échapper aux poursuites ; — l’on peut dire qu’à ce moment la pièce est finie. Elle poursuit cependant, et fort longtemps dans l’original : les bergers réunis se livrent à des jeux rustiques, ce que nous appellerions aujourd’hui des « jeux innocents », — dînent sur l’herbe et chantent des chansons. Un épisode, qui forme coup de théâtre, montre une des brebis de Marion enlevée par un loup : Robin se précipite, sauve la brebis et la rapporte dans ses bras ; puis on continue la petite fête, qui s’achève, comme dans toute bonne comédie, par le mariage de tous les couples amoureux.

(À suivre.)

Julien Tiersot.

LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE

AU SALON DES CHAMPS-ÉLYSÉES

(Huitième et dernier article.)

C’est une statue symbolique — mais du symbolisme le plus acceptable, le moins nuageux, le moins « littéraire », — à une œuvre d’aspect décoratif, de construction puissante et de technique irréprochable, que les sculpteurs ont décerné cette année la médaille d’honneur. La Pensée de M. Gustave Michel est assise sur un trône ; les attributs de tous les arts l’entourent sans surcharger la composition : une palette, une harpe, des manuscrits. Un petit génie qui représente sans doute la Renommée, mais qui aurait le droit de figurer pour le simple ornement, car il est d’une facture charmante, souffle dans une conque, aux pieds de la Pensée. Elle médite, sinon lasse, du moins consciente de l’effort immense qu’il faudra faire pour renouveler les tons de la palette, demander de nouveaux accents à la harpe, faire éclore sur ce papier blanc du noir tout neuf, des chefs-d’œuvre inédits. Et vraiment, en cette pose mélancolique, elle résume la grande poussée fin de siècle pour la fortune et pour la gloire, la poussée féroce, mais sourde et muette, du million de concurrents pour une audition, pour un diplôme, pour une médaille, l’écrasement dans une impasse.

Aussi bien, les statuaires qui travaillent à ne pas parler pour ne rien dire et demandent au marbre et au bronze d’exprimer autre chose que la beauté animale, sans dessous psychologiques, sans reflet d’âme, sont en nombre respectable aux Champs-Élysées. Voyez le haut-relief de M. Gasq, Héro et Léandre : du Chapu, mais du Chapu supérieur, avec plus de maîtrise dans la composition générale et plus de virilité dans l’exécution. Un sentiment tout moderne y domine l’arrangement classique, et c’est bien Léandre et c’est bien Héro, mais c’est surtout une fin « d’Idylle tragique », et sans le vouloir, M. Gasq commente Paul Bourget. Voyez aussi l’Effroi de M. Hercule, qui, au double point de vue de la plastique et de l’intensité d’effet obtenue par les moyens les plus sobres, est une des œuvres hors de pair exposées au Palais de l’Industrie. Cette figure de femme n’a pas seulement une grâce exquise : elle résume, elle formule d’une façon que j’appellerais définitive, si l’art n’était un perpétuel recommencement, toute la psychologie de la pudeur délayée en tant et de si compacts volumes par nos plus subtils romanciers.

M. Roger-Bloche a obtenu la bourse de voyage pour son groupe : Dans les nuages, d’une inspiration délicate et d’une suffisante exécution, non sans quelques défaillances. C’est un peu Paolo et Francesca emportés dans le tourbillon ; c’est aussi un émouvant symbole de la ferveur passionnelle. Et voici tout un groupe d’artistes qui se sont efforcés avec plus ou moins de bonheur de donner une forme matérielle aux pures abstractions. M. Mathurin Moreau avec son projet de groupe décoratif : les Harmonies ; M. Miquel avec sa jeune fille aux yeux songeurs, qu’inspire une Méditation ou une Muse : Vers l’idéal ; M. Hippolyte Lefebvre avec son haut relief de la Douleur ; M. Barnhorn avec sa Madone au lis qui serait plutôt une statue de la Pureté ; M. Blanchot avec un Regret assez délicatement formulé ; M. Dormay avec une Désespérance très présentable ; M. Captier avec une autre Désespérance — quel statuaire, moins imbu de lectures romantiques, nous rendra de simples Désespoirs, des Désespoirs au masculin, ce qui n’empêcherait pas de les représenter par des femmes ? — traduction de ces deux vers de Baudelaire :

Quant à moi, j’ai les bras rompus
Pour avoir étreint des nuées…

À côté de ces symbolistes convaincus, de hautes visées et souvent d’exécution puissante, il convient de placer, comme repoussoir et aussi comme amusette de passage, les bons petits allégoristes, bien naïfs, qui ne regardent pas si loin et s’en tiennent aux figurations littérales. Voici par exemple M. Guillaume Boldi, un élève de l’École des beaux-arts de Florence. Il voulait représenter l’Amour qui enchaîne le monde ; il a fait un Cupidon grassouillet, bien en chair et bien en forme, il l’a assis sur une vraie mappemonde où les continents sont dessinés bien en relief ; et il a entouré ce globe, qu’on pourrait utiliser dans les écoles primaires, d’une vraie chaîne de pur laiton. Vous pouvez toucher. Moins gauche, mais aussi simpliste, Mme Moria a modelé un baby atteint du carreau et l’a accroupi sur le sol dans la pose classique du sphynx. Ce baby, c’est l’Avenir. Moi, je veux bien. Ce serait le présent, et un présent trop dodu, je n’y contredirais pas davantage.

M. Pézieux ne saurait être confondu avec ces pseudo-primitifs. Sa statue de plâtre, Songe d’avenir, est une belle œuvre, d’aspect un peu fruste, mais qui prendra au marbre la précision nécessaire, et qui apporte aux Champs-Élysées comme un reflet du Champ-de-Mars. La Tempête de M. Larche est encore un effort puissant, dans un tout autre ordre d’idées et d’exécution. Mais comment voir autre chose que des prétextes à modelés gracieux ou suggestifs dans la Fleur de sommeil de M. Devaux, qui rappelle le mouvement de la femme au masque des Tuileries, la Rêverie de M. Alliot, femme nue jouant de la mandoline, l’Élégie de M. Marioton, autre femme nue jouant du luth ?

Encore une Mélodie, marbre de M. Hexamer, et un Chant de la vague, étain de M. Obiols, et l’Écho très vivant de M. Plé, et un autre Écho, mourant ou plutôt mourante, car Mme Cranney-Franceschi en a fait une nymphe. Une Romance d’avril de M. Salières, femme nue jouant de la mandoline ; la Goutte d’eau de M. Sentis de Villemur s’apprétant à creuser le rocher qu’elle domine et semble hypnotiser :

Vous regarde. Hélas ! pendant… Le rocher
Vous regarde. Hélas ! pendant qu’il songe,
Il sent la goutte d’eau sinistre qui le ronge.

Et en effet, ce rocher d’ailleurs modelé avec une certaine puissance n’a pas l’air content. Une tempête sur un crâne.

La Méditation de Mme Syamour, femme assise, en costume Restauration, le Vice et la Vertu de M. Octobre, la Vérité de M. Ruffier, le haut-relief la Comédie de M. Pesné, l’Étoile filante de M. Charpentier, l’Étoile du matin de M. Perron, la Rosée de M. de Senné mériteraient mieux qu’une mention. Et nous avons encore, avec l’Amour endormi de Mme Tarnioli, le Frisson d’amour de M. Arnault, — que de titres de romance !

Une station, sans but mais si reposante ! devant quelques bonnes petites bê-bêteries suavement candides, (rassurez-vous : je laisserai aux auteurs le bénéfice de l’anonymat) : un enfant à la bulle de savon avec bulle en bois, un enfant au crabe, un oiseau d’Yvonne, qui est une petite colombe à moins que ce ne soit un gros moineau, avec une libellule qui a dans le dos, cruellement plantées (oh ! combien cruellement !) des ailes en forme de couteau à papier. J’en passe, et qui pourtant m’ont fait du bien en me prouvant qu’il y a encore de belles âmes et de l’art ingénu, M. Gaillard, plus savant, expose l’inévitable Cigale, et M. Fontaine, plus compliqué, la traditionnelle Charmeuse de panthère. De M. Jouvray une « Source rêveuse » qui aurait aussi manqué à l’appel, et de M. Van der Straeten un Amour maternel, bon sujet, sujet de rapport ayant toujours du pain sur Delaplanche.

La théorie des statues mythologiques s’avance majestueusement, en ordre d’ailleurs dispersé. « Hypnos, le jeune dieu du sommeil, » buste en bronze de miss Kate Tizard, préside assez malicieusement à ce défilé. Pourtant, la Bacchante entraînant le cortège de Bacchus de M. Raoul de Gontaut-Biron, le Cupidon de M. Canfield se débattant dans un filet, l’autre Bacchante de Mlle Itasse, la Sirène de M. Mangio, la Daphné changée en laurier de M. Dercheu, le Dieu Pan de M. Riffard « poursuivant Syrinx jusqu’au fleuve Ladon, » — à nous Ovide et Demoustiers ! — la petite Diane de M. Sanson, la Diane triomphante de M. Seysses, n’ont rien de somnolent. Et la Vénus au myrte de M. Bastei est si bien réveillée qu’elle ouvre les bras pour embrasser l’univers. Quant à la seconde Vénus, celle de M. Marc-Monniès, faisant des grâces près d’un Adonis qui a l’air d’un étudiant d’Oxford en tenue de pleine eau, cette erreur naturaliste serait mieux à sa place aux Folies-Bergère que dans la nef des Champs-Élysées.

Une Flore, de M. Mathet, un Prométhée de M. Wheatley, enfin une