délicate composition de M. Godet : le Ravissement de Psyché, groupe en bronze d’après le tableau de M. Bouguereau. Puis des sujets classiques : le Gladiateur, de M. Breton, tournant son pouce vers le sol pour implorer la pitié des spectateurs ; la Mort d’Hector de M. Charron, l’Éducation de Vercingétorix de M. Baujault, où l’étrangeté, pour ne pas dire la cocasserie, de la composition, annihile les plus sérieuses qualités. La statuaire biblique a trouvé un remarquable interprète en M. Mengue, dont le Caïn fuyant le coin de terre que vient d’ensanglanter le premier meurtre, ne manque ni de vigueur ni d’accent personnel. Le Job, à barbe pendante, à expression gâteuse, de M. Desruelles, n’est qu’un vieux conseiller municipal peu ragoûtant, mais l’Ève de M. de Mauneville, la Sulamite, de M. Pépin, qui fait une rentrée intéressante au Salon, le Harpiste de M. Reinitzer (en réalité un David devant Saül), même le Samson outrancier de M. Caravanniez, ne sont pas des efforts négligeables. À signaler encore une gracieuse Salomé de M. Ferrary, en marbre et bronze, et une Judith de M. Moreau.
Deux œuvres dédiées aux touristes du mont Saint-Michel : le Saint Michel de M. Frémiet, d’heureuse silhouette et d’aspect monumental, qui satisfera leurs sentiments cultuels, et l’Enlisé de M. Foubert, qui leur inspirera une crainte salutaire des sables mouvants. Des Jeanne d’Arc de tout style, de tout arrangement et de tout format : la Jeanne à Vaucouleurs de M. Albert Lefeuvre, serrant sur son cœur le glaive de la délivrance ; la Jeanne à genoux de M. Bogino, en extase au milieu des champs ; la Jeanne de Mlle Jozon, enfant et les mains jointes ; celle de M. Jacquot disant adieu à Domrémy, et celle de M. Lafont, brandissant son oriflamme au seuil de la cathédrale de Reims : « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur. » Jusqu’à des Jeanne d’Arc en médailles, de M. Michel Yampolsky, de M. Yencesse, etc. Pour faire logiquement suite à cette série patriotique, le beau groupe de M. Antonin Mercié (monument commémoratif de la défense de Châteaudrun), la maquette de M. Gauthier (monument de Louhans), l’Âme de la Patrie « soutenant le courage des guerriers et leur donnant le courage », de M. Kley, et tous les soldats blessés (Maillard, Antoine, Carillon), qui portent les titres variés de Défense du sol, Victime du devoir, etc.
Le « genre » est abondamment représenté au Palais de l’Industrie, et cette fois c’est un maître qui ouvre la marche : M. Falguière en personne naturelle et académique. On a tant parlé de sa Danseuse avant et pendant le Salon, qu’il ne reste pas grand’chose à en dire. Aussi bien, s’il contient de faire quelques réserves sur le caractère général de l’œuvre, ne saurait-on contester l’exactitude du portrait ou la grâce suggestive de l’étude réaliste. Mlle Cléo de Mérode n’est-elle pas prise sur le vif avec ses cheveux ondulés cachant l’oreille, sa coiffure si caractéristique empruntée à la Simonetta de Botticelli ? N’y a-t-il pas des accents exquis, de vraies caresses de ciseau dans le torse juvénile, un modelé de grande statuaire dans les jambes souples et nerveuses ? — Autres danseuses : un plâtre de M. Miserey, un marbre de M. Pendariès, un bronze de M. Fossé. L’Estudiantina de M. Thubert, la Dugazon de M. Deloye, les Adieux de Cléopâtre et la Harpiste égyptienne de M. Loiseau-Rousseau, l’Enfant jouant de la flûte assis sur une stèle, de M. Lecoq la Mignon de M. Villanis, l’Héloïse au Paraclet de M. Allouard, l’Ours et l’amateur de jardins de M. Paris, sont encore d’agréables fantaisies. Et je me reprocherais de ne pas consacrer une mention spéciale à M. Mouthières, le courageux moderniste, l’auteur d’Allo ! allo ! qui a essayé de résumer dans une simple figure en plâtre les efforts quotidiens des milliers d’abonnés du téléphone pour réveiller l’attention languissante de ces demoiselles du bureau central.
Deux Napoléons — c’est le minimum — une statuette très gratinée, de M. Petrilli, et une figure équestre de M. Masson. Dans la catégorie des figures historiques, un Beaumanoir de M. Potet, pour le Panthéon breton, un Fontenelle de M. Pilet, pour l’Opéra, un Shakespeare de M. Marc-Monniès, pour la bibliothèque Natlé, de Washington, un Rembrandt de M. Lami, pour nulle part. Deux Félix Faure, un bronze officiel de M. Lanson, et un autre bronze à cire perdue, de M. Hercule, d’une remarquable finesse. Près de l’amiral Besnard, de M. Durand, catalogué « ancien ministre de la marine », et qui l’est redevenu depuis l’ouverture du Salon, le Casimir-Périer, de M. Boucher, ex-président de la République, et qui ne paraît pas très soucieux de le redevenir.
Revenons aux morts illustres, avec le beau buste d’Ambroise Thomas, de M. Bernstamn, celui de M. Lafont, pour l’Institut, et une autre étude, plus contestable, d’après le maître regretté, un bas-relief en bois de M. Auguste Delaporte. L’Hector Berlioz de M. Feinberg, commandé par l’État, est conforme au modèle classique, je veux dire romantique. Le projet de monument à Chopin, de M. Damé, représente le grand virtuose assis au piano ; la muse est debout derrière lui ; des visions flottent en spirales indécises. Trop ressenties, au contraire, les figures de M. Cordonnier pour le monument à Nadaud. Elles écrasent cette aimable gloire de chansonnier. Mme Marceline Debordes-Valmore, dont les lointaines amours ou plutôt les poétiques faiblesses ont suscité récemment de vives polémiques, revit dans le bronze aux tons argentés de M. Henri Houssin, pour le monument à ériger à Douai. Le Paul Baudry de M. Gerôme ira à la Roche-sur-Yon ; la Mme Favart de M. Férigoule pourrait trouver place dans l’Opéra-Comique rebâti, et voici, avec un Chapu de M. Patey, un Chaplin, pas assez fruste, dominant une composition symbolique de M. Puech. Quant aux vivants, à peine me reste-t-il assez de place pour les nommer : Henri de Bornier (Julien) ; Sully Prudhomme (Marochetti) ; Jules Lemaître (Rouosse) ; Barrias (Baralis) ; Ernest Daudet (Dubois) ; Louis Gallet (Graf) ; puis M. Clément, de l’Opéra-Comique (Labatut) ; Mlle Bourgeois de l’Opéra (Bastet) ; M. Sadi-Petit, de l’Odéon (Richoux) ; M. Duard, du même théâtre (Deschamps) ; M. André Gailhard (Sentis de Villemur) ; Mme Aimée Petit (Paul Bacquet)… Il y a même un portrait de Ménélik, d’un sculpteur portugais qu’on n’accusera pas de négliger l’actualité, M. de Queiroz-Ribeiro, et je ne saurais trop recommander à nos divers Damoye d’aller l’étudier sur place pour bien se pénétrer de la couleur locale. Il approche, le drame sur Ménélik, le mélo boulevardier à gros orchestre et à grand spectacle ; il plane ; il est dans l’air !
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Londres (18 juin). Opéra de Covent-Garden : l’opéra des Maîtres chanteurs est avant tout une pièce symbolique, une pièce à thèses philosophiques. Les personnages y discutent à qui mieux mieux les idées chères à Wagner, ses revendications d’artiste indépendant, son idéal particulier. Tout cela est présenté d’une façon fort intéressante et parfois spirituelle ; c’est parsemé d’épisodes pittoresques et de jolis détails scéniques, mais comme livret d’opéra, c’est tout simplement navrant. La plus grande partie du texte est écrit dans un style bourgeois et frondeur pour lequel l’enveloppe musicale est plutôt une gêne, une contrainte.
Dussè-je être foudroyé sur l’heure par le feu céleste de Bayreuth, je prétends que dans les Maîtres chanteurs, Wagner pamphlétaire s’est affirmé au détriment de Wagner musicien. Il semble que Wagner ait senti lui-même, mais inconsciemment, le peu de musicalité de son livret, car il y a entassé incidents sur incidents pouvant prêter à des développements musicaux. C’est dans ces occasions-là d’ailleurs que son génie brille du plus bel éclat, malgré les formes conventionnelles auxquelles il revient alors et malgré le manque d’intérêt dramatique. Dans cet ordre d’idées, je citerai les chants de concours de Walther, qui ont de la grâce et de la fraîcheur, la sérénade humoristique de Beckmesser, le finale du 2e acte, l’admirable quintette qui termine la scène de l’atelier de Hans Sachs et tout le dernier tableau, dont le caractère est purement décoratif et dont les wagnériens ne toléreraient la tendance chez nul autre… que Wagner. — M. Jean de Reszké est absolument parfait dans le rôle de Walther ; sa voix, sa prestance, son style le servent merveilleusement dans la réalisation du personnage. J’en dirai autant des qualités déployées par son frère Édouard dans le rôle de Hans Sachs et par M. Plançon dans celui de Pogner. Voilà un trio d’artistes absolument incomparables. M. Bispham est bien exagéré dans le rôle de Beckemesser ; trop de zèle, pas assez de pondération ! Mlle Eames donne tout le relief qu’elle peut à son rôle de poupée de Nuremberg, et MM. Gilibert, Piroïa et Bonnard sont des plus satisfaisants dans les rôles secondaires. — L’interprétation du Tannhäuser a été très remarquable de la part de MM. Alvarez, Plançon (Hermann) et Mme Adini (Vénus). Ces trois artistes ont sauvé l’honneur d’une représentation autrement bien pénible ! Le premier tableau a été un régal sans pareil. Mme Adini et M. Alvarez se sont surpassés dans leur duo fameux. Le rôle d’Élisabeth était tenu par Mme Lola Beeth, qui y manque un peu d’acquis et de force.
— De notre correspondant de Belgique (18 juin). — Les concours publics du Conservatoire de Bruxelles ont commencé cette semaine. Ils ont été inaugurés par le petit concert traditionnel, où se font entendre tous les ans les excellentes classes d’ensemble vocal et instrumental de MM. Soubre et Jourez, Colyns et Agniez. M. Gevaert a l’intelligence de donner toujours à ces séances non seulement un intérêt pédagogique d’exécution correcte et soignée, mais aussi un intérêt artistique par la composition des programmes. Il s’y trouve chaque fois quelque œuvre peu connue et curieuse, et souvent aussi des œuvres nouvelles. Cette année, notamment, les classes d’ensemble vocal nous ont fait entendre d’anciennes chansons françaises du xviie et du xviiie siècles, arrangées et harmonisées par