Page:Le Mierre-Oeuvres-1810.djvu/217

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Esclave de l'époux, même lorsqu'il n'est plus,

Liée encor des noeuds que la mort a rompus,

Entendez-là crier d'une voix lamentable :

Cruels, qu'avez-vous fait par un arrêt coupable ? [90]

Hélas ! Déjà le ciel nous impose en naissant

Un tribut de douleurs, dont l'homme fut exempt ;

Et votre aveugle loi, votre âme injuste et dure,

Ajoute encor pour nous au joug de la nature,

Et bien loin d'adoucir, de plaindre notre sort, [95]

C'est vous qui nous donnez l'esclavage et la mort.

Le Grand Bramine

Quel langage inouï ! Quelle erreur te domine !

N'es-tu donc dans le coeur indien, ni bramine ?

La femme naît pour nous ; et par un fol égard,

Tu veux que dans l'hymen elle ait ses droits à part ! [100]

Prends-tu les préjugés des nations profanes ?

On doit tout à l'époux, on doit tout à ses mânes.

Elle-même a senti dans ses attachements

Le prix qu'elle doit mettre à ces grands dévouements :

L'appareil des bûchers et leur magnificence, [105]

Ne peut appartenir qu'à la fière opulence ;

Mais la veuve du pauvre accompagne le mort,

Se couvre de sa terre et près de lui s'endort.

Même dans ces cantons, où la loi moins sévère

Se relâche en faveur de l'épouse vulgaire, [110]

Celle qui croit sortir d'un assez noble sang,

Réclame les bûchers comme un droit de son rang.

Recule dans le temps, et voit dans l'Inde antique,

Combien l'on a brigué ce trépas héroïque.

Songe au fils de Porus ; remets-toi sous les yeux [115]