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Page:Le Monde moderne, T4, 1896.djvu/685

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se plaît parfois à faire, les célébrités les plus diverses.

Le Destin, l’inexorable Fatum des anciens, semble à plaisir s’intéresser à brouiller toutes les chronologies, à se rire de nos petites classifications et de l’ordre éphémère que nous voulons mettre dans les choses : un musicien auprès d’un homme d’État ! un poète entre un mathématicien et un architecte ! Rossini près d’Achille Fould ! Alfred de Musset entre Poinsot et Louis Lebas ! Quelquefois le prescripteur auprès du proscrit ! Ou encore, deux ennemis de jadis, séparés aujourd’hui par quelques centimètres de terre !


monument de paul baudry, par mercié

Devant les sépultures grandioses d’hommes qui furent éminents comme François Arago, Visconti, Haussmann, Barthélemy-Saint-Hilaire, Perdonnet, Ledru-Rollin, Cousin, les groupes s’arrêtent un moment. Mais leur affection respectueuse se porte de préférence vers ceux qui parlèrent à leur cœur et à leur esprit : vers les musiciens comme Auber ou Rossini ; vers les artistes comme Dantan, Couture, Paul Baudry ; vers les poètes comme Musset ; vers les victimes comme les généraux Lecomte et Clément Thomas.

On aime les uns, parce qu’ils ont vécu pour l’Art ; les autres, parce qu’ils sont morts pour la Patrie.

Le saule de Musset, la tombe d’Héloïse et d’Abélard, la sépulture de Rachel et celle de Mlle Mars sont, chaque année, un lieu de pèlerinage excessivement fréquenté.

Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière :
J’aime son feuillage éploré…

Bien chétif, hélas ! bien maigre, bien anémique, cet arbuste qui devrait être un arbre majestueux et couvrir de son ombrage le buste du chantre de Rolla et de Namouna. C’est incalculable, pourtant, le nombre de feuilles qu’il a déjà fournies, depuis la mort du poète, aux admirateurs désireux d’emporter un souvenir sacré de leur visite au Père-Lachaise ? Combien ont pleuré devant cette tombe, en récitant les strophes des Nuits ! Que de chagrins, s’exhalant d’un cœur de vingt ans, y sont venus chercher une consolation ! Que d’illusions de jeunesse : illusions d’amour, illusions de gloire, s’y sont réconfortées ainsi que se réconforte à une source pure le voyageur exténué par la fatigue de la route !

Autour du monument gothique qui recouvre les restes d’Héloïse et d’Abé-