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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/212

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passions revenues au calme d’un silence farouche et boudeur, il se dressa près de la tête du corps enlinceulé et les deux bras levés au ciel, cria d’un ton d’indignation peinée : « Vous devriez avoir honte !… » C’était vrai.

Belfast prit son deuil fort à cœur. Il donna preuves sur preuves d’inextinguible dévouement. Ce fut lui, non un autre, qui voulut aider le voilier à parer les restes de Jimmy pour leur remise solennelle à l’insatiable mer. Il disposa soigneusement les poids le long des chevilles : deux briques, un vieux maillon d’ancre, quelques chaînons brisés d’une chaîne d’engrenage usée. Il les arrangeait comme ceci, puis comme cela.

— Le bon Dieu te bénisse, t’as pas peur qu’il s’écorche le talon pourtant ? dit le maître-voilier que la besogne énervait. Il poussait l’aiguille en lançant des bouffées rageuses, la tête dans un nuage de fumée de tabac, rabattant des pans de toile, serrant les coutures, tendant l’étoffe.

— Soulève ses épaules… Tire à toi un peu… La… a… a. Halte.

Belfast obéissait, tirant, soulevant, accablé de chagrin, mouillant de larmes le fil goudronné.

— Serre pas la toile trop fort sur sa pauvre figure, voilier, implora-t-il douloureusement.

— Pourquoi vas-tu te faire encore de la bile ? Il sera bien à l’aise comme ça, assurait l’autre en coupant le fil après le dernier point qui venait juste à la hauteur du milieu du front. Il roula le reste de la toile, serra ses aiguilles.

— Qu’as-tu à prendre ça tant à cœur ? demanda-t-il. Belfast abaissa les yeux vers le long paquet de toile grise.

— C’est moi qui l’avais retiré l’autre fois, murmura-t-il, et il ne voulait pas s’en aller. Si je l’avais veillé la nuit der-