Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

niére, il serait en vie pour me faire plaisir… mais j’étais fatigué.

Le maître-voilier tira vigoureusement sur sa pipe et marronna :

— Quand j’étais… aux Antilles… La frégate la Blanche… Fièvre jaune… on cousait comme ça ses vingt hommes par jour… des gars de Portsmouth, de Devonport — des pays — on connaissait leurs pères, leurs mères, leurs sœurs, tout leur fourbi. On faisait pas attention. Et ces nègres comme celui-là, on sait pas d’où ça vient. Ça n’a personne. Ça n’est bon à personne. A qui manquera-t-il ?

— A moi. Je l’avais retiré l’autre fois, gémit Belfast inconsolé.

Sur deux planches clouées ensemble, et d’apparence immobile et résigné sous les plis de l’Union Jack à bordure blanche, James Wait, porté à l’arrière par quatre hommes, fut déposé très doucement, les pieds dans la direction d’un sabord ouvert. Une houle d’ouest se levait et, suivant le roulis du navire, le pavillon rouge en berne dardait sur le ciel gris comme une langue de flamme ardente. Charley sonnait le glas sur la cloche et à chaque oscillation vers tribord tout le vaste demi-cercle des eaux d’acier visibles de ce côté semblaient se hausser, avides, jusqu’au sabord, comme impatientes de happer notre Jimmy. Tous étaient là, sauf Donkin trop malade pour paraître ; le capitaine et M. Creighton se trouvaient tête nue sur le fronteau de dunette ; M. Baker, sur l’ordre du patron qui lui avait dit gravement : « Vous avez plus l’habitude de ces choses-là que moi », sortit de la porte du carré. Il marchait vite, avec une nuance d’embarras, le livre d’offices à la main. Tous les bonnets disparurent. Il commença bas, de son ton habituel d’inoffensive menace, comme s’il réprimandait discrètement pour la dernière fois, ce matelot mort