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enthousiasme

neige un cercle bien creusé. Très souvent forcés de reconduire des gens de la gare aux maisons éloignées où la route à peine ouverte se referme toujours à moitié sous les tempêtes perpétuelles, ils acquéraient une adresse au volant qui tenait de l’acrobatie.

Le beau, le merveilleux pays ! Le reposant pays où le passant désirait demeurer à jamais, et même dans un hiver continuel.

Pourtant, les habitants y avaient comme ailleurs leurs problèmes et leurs tracas.

Entre les deux gros hôtels, rue principale, se cachait derrière le banc de neige la vitrine à peu près vide d’une échoppe portant comme enseigne : « Skis à vendre et à louer ». On y pénétrait dans une pièce nue, au plancher rude. Autour s’alignaient, sans trop d’ordre, les skis neufs et vieux. Une porte allait de cette première pièce à l’atelier, où travaillait le propriétaire. Sur une table embarrassée de pots de cire, de harnais, de bâtons et d’outils, traînait souvent une moitié de tasse de café et un peu de gâteau non seulement sec mais misérable. Quand Yvette entra, ses skis, ses bâtons à la main, un peu essoufflée par la côte qu’elle venait de gravir, son visage se rembrunit en apercevant de nouveau ces restes :

— Ah ! Guy, ne me dites pas que vous n’avez pas encore pris le temps d’aller manger convenablement ! Vous vous rendrez malade…

— Mais non ! Je soigne ma ligne…

— Moi aussi, tant qu’à ça !

Et la longue et mince jeune fille se laissa tomber sur l’unique chaise de bois, d’un air harassé.