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le carême d’isabelle

la vérité — pas de chicane — pas de colère — manger un peu moins de désert — ne plus aimé les garçons gusçe quand je serai grande — parce qu’elle connaît ses faiblesses, elle n’a pas pensé à mettre : avoir bon cœur, faire la charité, parce que, cela, en elle, c’est naturel. Il fallait même surveiller ses attendrissements.

L’été auparavant, un vieux nègre, en haillons, travaillait tous les jours au gazon, à la haie, aux fleurs du voisin. Parce que tout le monde le regardait comme une bête curieuse et qu’il était si laid, Isabelle sacrifiait ses heures de jeu pour lui parler, le distraire, même s’il ne comprenait pas sa langue. Un bon matin, elle vint hésitante, trouver sa mère. Car par bonheur, elle la consulte avant d’agir.

— Maman, penses-tu que ça lui ferait plaisir si je l’embrassais ?

Voyant la réprobation dans les yeux maternels, elle ajouta avec une évidente expression, de dégoût :

— Oh ! J’aimerais, pas ça, il est trop noir, et en plus, il est sale par-dessus le noir, mais il fait tellement pitié, maman, il est tout seul, il me semble que ça le consolerait…

Non, tout de même !

Alors, sa mère lui dit :

— Je pense que tu es mieux de te contenter de lui parler. Et puis, ne te fais pas trop de peine pour lui. Les noirs ne se pensent pas plus laids que les blancs. Si tu l’embrassais, il n’aimerait pas ça. Rappelle-toi, ce que ta tante a raconté, quand elle avait sa Louise, comme cuisinière. Elle a constaté que la négresse avait mal au cœur des blancs et ne voulait ni manger, ni boire dans