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bouche amère

Je vous dis que je ne suis pas fiable. Je ne m’expose à aucune tentation, je succombe chaque fois.

— Ah ! chez nous, vous seriez bien en sûreté.

— Vos parents me mettraient dehors.

— Mais non, pourquoi ? J’ai dix-huit ans, vous savez, je peux recevoir…

— Pas un monsieur de trente-six ans, avec une jambe de liège ! Et je ne vous exposerai pas non plus à la tentation.

Bouche amère avait une jambe de liège, Bouche amère avait présentement une situation passable, mais ce boum de la Bourse, il s’en méfiait, il avait l’intuition qu’il achevait et que cette année 1928 serait une des dernières années glorieuses… pour tant de valeurs fictives. Bouche amère ne redoutait pas pour lui le retour de l’incertitude financière, mais il n’entraînerait pas de femme vers les naufrages qui venaient, il en était sûr.

D’ailleurs, c’était vrai, s’il avait cédé à ce sentiment qui l’amenait tous les matins à ce rendez-vous, s’il s’était risqué chez Henriette, les parents de celle-ci ne l’auraient sûrement pas bien reçu. Et puis, il était revenu de trop de choses pour ne pas croire que l’amour était fragile. Il était habitué à ne penser qu’à lui, à obéir à tous ses caprices. Par égoïsme, il avait décidé depuis longtemps de ne s’embarrasser de personne.

L’expression qu’Henriette n’aimait pas, passait dans ses yeux, pendant qu’il récapitulait ainsi son état. Il se moquait en lui-même parce qu’il venait de lier le mot embarras, avec ce joli bout de femme qu’il avait à côté de lui, Mais les yeux