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LA MONTAGNE D’HIVER

l’attirait aucunement. Cette société cosmopolite des hôtels de grande classe, des paquebots de croisière, séduisait plutôt l’imagination de sa sœur Hélène dont les yeux brillaient de convoitise.

— Un jour je déciderai Léon à prendre des vacances d’hiver, maintenant que les enfants peuvent se tirer d’affaires sans nous. Tu viendrais bien demeurer avec eux quelques semaines ?

Madeleine acquiesça. Ses désirs à elle étaient bien différents. Elle souhaitait se perdre dans une vaste solitude enneigée. Habiter par exemple, un chalet juché sur une pente proche du ciel. Le soir, elle s’enfermerait devant un bon feu de bois, avec un livre assez beau pour lui faire oublier la réalité. Le sud évoquait des idées de danses, de coquetels, de fêtes, en compagnie bruyante et parée. Et puis, les pays chauds n’avaient pas, lui semblait-il, la pureté et le silence des pays froids. Elle rêva subitement avec nostalgie à la netteté absolue de la neige. La nature avait sur elle une grande emprise. Très jeune, avant d’avoir vraiment souffert, elle se souvenait d’avoir souvent déclaré à ses amies ;

— Moi, un beau paysage me consolerait de tout.

Elle exagérait. Elle ne connaissait alors rien de la condition humaine. Cependant, lorsqu’elle avait cru que Jean rejetait sa tendresse, elle avait reporté ses joies sur la beauté du monde. Aujourd’hui, blessée, meurtrie, sans goût pour édifier le moindre projet, elle sentait d’instinct qu’elle serait sauvée du désespoir quand elle aurait la force de recourir à la campagne pacifiante. Mais où aller ? D’ailleurs, avait-elle soif de changement ? Elle n’avait soif de rien. Elle n’éprouvait qu’une peur généralisée. Peur des gens, peur des paroles, des figures, des actes, des impressions. Peur d’avancer, comme au sommet d’une falaise