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LA MONTAGNE D’HIVER

— Espérons qu’il viendra plus tôt, dit-elle.

À quoi tenait une destinée ? L’ouvrier était arrivé quelques minutes après le départ de son mari.

Deux heures plus tard, Jean était mort. Le soir de cette belle journée avait fait se lever un brouillard épais. Jean avait dû conduire trop vite sur cette route sinueuse et étroite qui suivait le bord de la rivière. Il n’était pas attentif, probablement, parce que trop fatigué. Pourquoi n’avait-elle pas été là ? L’accident n’aurait pas eu lieu. Et si, le midi, il avait au moins parlé plus que d’habitude ; elle n’avait que la mince consolation de l’avoir embrassé au moment du départ. Parfois, il n’avait pas l’air d’attendre ce baiser accoutumé. Il s’en allait absorbé en lui-même, comme si elle n’existait pas. Il s’en allait sans se détourner, sans dire au revoir. Sa propre mère avait toujours embrassé son père lorsqu’il quittait la maison même pour une demi-heure. Chaque fois que Jean évitait cette marque d’affection, elle se sentait brûlée par le chagrin.

La voix irritée d’Hélène l’arracha brusquement à sa rêverie.

— J’ai eu un mal fou à te retrouver. Je te pensais à côté de moi, je te parlais, et tout à coup, je regarde et tu n’es plus là ! Je t’ai cherchée au rayon des robes, à celui des écharpes et je te retrouve absolument par hasard, au rayon des sports !

— Au rayon des sports, répéta Madeleine étonnée.

Elle avait sursauté. Elle regarda autour d’elle. C’était vrai. Elle était au rayon des sports. Elle s’effraya d’avoir pu se retirer assez profondément en elle-même pour sortir totalement du présent, et ne plus rien voir de ce qui l’entourait, ne plus savoir où elle était et ce qu’elle cherchait, oublier Hélène et marcher en somnambule, traînant son cauchemar à travers des étalages qu’elle n’apercevait plus.