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LA MONTAGNE D’HIVER

qui marquaient toujours la journée : chutes spectaculaires, rencontres fortuites. Jean de nouveau disait :

— La prochaine fois, il faut absolument que je me libère. Aujourd’hui, ce que je redoutais était vain. L’interne aurait pu se passer de mon aide.

Il ne s’était jamais libéré.

Madeleine ramenée au présent, s’étonna que ce projet d’aller vivre dans les Laurentides l’eût entraînée à revoir si nettement ces dimanches du passé.

Elle continua son chemin pensant au tragique des relations humaines, mais sans amertume cette fois. Malgré lui, son pauvre Jean était toute sa vie resté cloîtré dans son silence. Quelles circonstances avaient fait de lui cet être incapable de s’extérioriser ? Incapable de confiance ? Entre tous les hommes, sauf à de très rares moments, un rempart insurmontable subsistait plus ou moins haut ; celui qui isolait Jean Beaulieu était-il donc de fer, sans failles ? sans brèches ?

Deux êtres pouvaient vivre physiquement proches, et graduellement s’éloigner l’un de l’autre, dans l’isolement du cœur. Avouées, les accusations muettes qu’ils remuaient, leur auraient permis de se comprendre et de se pardonner.

La vie était constamment difficile, mais avec un Jean moins silencieux, moins secret, Madeleine aurait été plus heureuse. Tout de même, elle se reprochait aujourd’hui, de s’être cabrée devant ses airs sombres, de s’être apitoyée sur elle-même, au lieu de le plaindre, lui que son tempérament rendait naturellement triste.

Elle aurait dû tenter par tous les moyens de le sortir de lui-même, de l’aider. Il était si honnête, si intelligent. Elle pouvait l’interroger sur n’importe quel sujet, il pouvait toujours répondre. Et avait-elle suffisamment remercié Dieu, pour ce catholicisme solide qui était le sien ? Autrement, combien cette mort subite l’aurait tourmentée.