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LA MONTAGNE D’HIVER

des pains parfaitement levés et pâles qui s’alignaient sur les tables.

Madeleine s’exclama :

— Mais vous avez de la galette au beurre ? De la galette au beurre, avec de l’anis ! Ah ! Louise, je n’en ai ni vu, ni mangé depuis des siècles.

— Oui, de la bonne galette au beurre, pas de beurre dedans, comme le chantait dans la rue le boulanger de mon enfance. Moi, je ne le crie pas sur les toits, je me contente de l’avouer dans l’intimité. Mais elle est excellente, je peux vous la recommander, c’est moi qui l’ai pétrie !

Louise acheta la plus belle.

— Cette odeur, dit Madeleine, vous n’imaginez pas jusqu’où elle m’emporte. Au temps de grand-papa, quand j’avais dix ans ! Autant dire avant le déluge.

— Oui. Tout a tellement changé. L’autre jour, une amie d’Ottawa est venue avec moi à la boulangerie. En voyant les galettes, au lieu d’être ravie comme toi, elle s’est écriée : « Ah ! vous avez du pain juif. » Tu peux t’imaginer si je l’ai taquinée sur son ignorance. Une bonne Canadienne française qui ne connaissait pas la galette au beurre. Mais elle habitait l’Ontario depuis son enfance. Tiens, regarde la grande maison qui bloque la route. Elle appartient à un noble.

— Un noble ?

— Oui. Un duc authentique.

La maison était percée de beaucoup de fenêtres symétriques comme celles d’un couvent, et de deux portes si rapprochées et si semblables, qu’il était difficile de distinguer l’entrée principale de la porte du service.

— Le duc et la duchesse habitent Les Escarpements depuis plus de trente années. Derrière ces murs de monastère, se cache un très bel intérieur, très européen, paraît-il. Des meubles, des argenteries… Le Magazine Mayfair a