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PITRERIE ROYALISTE




C’est le cas de gueuler en chœur, avec Mac-Nab :

On n’en finira donc jamais
Avec ces nom de dieu de princes !…

Quelle vermine, dure à détruire, mille charognes !

Voici que ça revient sur l’eau cette sacrée engeance royale,

Oh, tout en douce, sans grands flaflas, — ça se glisse comme une couleuvre sous les herbes, — ça prend pied dans l’opinion publique et, si on n’y met le hola, un de ces quatre matins on s’éveillera avec un prétendant de plus.

Au fond ça ne fera ni chaud ni froid, car la saison où les prétendants pouvaient espérer régner est finie, — bien finie !

Ce n’est pas quand on met en doute, non seulement la forme gouvernementale, mais le principe d’autorité lui-même ; quand on en arrive à vouloir réaliser une société sans État ; ce n’est pas à cette heure là qu’un prétendant a chance d’empaumer le populo.

N’importe ! Malgré qu’un prétendant ne soit pas un danger réel, c’est canulant d’en voir germer de nouveaux, simplement parce que c’est un signe de pantouflerie chez certains.

Ceux-là qui, aux rodomontades d’un prince, n’empoignent pas des pommes pourries, des trognons de choux ou de la bouse de vache pour lui courir après, en gueulant « à la chienlit »,

Ceux-là se rendent complices de sa propagande réactionnaire.

C’est le cas de tous nos opportunards et radicaillons !

Et ça prouve que leur républicanisme n’est qu’un badigeon tricolore sous lequel ces flaire-fesses cachent leur platitude.

Faut entendre ces larbins clabauder sur les frasques du mec qu’ils appellent Henri, — Riri d’Orléans !… Comme d’autres se qualifient : Henri de la Maubert ou Jacquot de la Villette.

Comme quartiers de noblesse, ça se vaut !

Pour ce qui est de bibi, s’il me fallait choisir, je préférerais boire chopine avec un dos de la Maubert qu’avec le nom de dieu de prince.

Et pourtant, s’il y a quelque chose qui me dégoûte, c’est les marlous, — de purs bourgeois qui vivent du travail des femmes. Et ils ne sont malheureusement pas les seuls : tous les patrons sont logés à même enseigne, — ils s’engraissent de la prostitution du populo !

Je dis donc que s’il me fallait choisir entre la fréquentation d’un prince et d’un marlou, mes préférences iraient au marlou de barrière, qui, lui au moins, a l’excuse de l’ignorance et de la misère.




Les républicains ne sont pas de mon avis.

Il s’en faut, cré pétard ! Y a qu’à ouvrir leurs quotidiens pour s’en convaincre : toute la semaine les journaux ont fait un pétard monstre au sujet des duels du « prince » Henri.

Voici de quoi il retournait : étant en balade chez Ménélick, le nom de dieu de prince a débiné des galonnés italiens, les a traités de fracasseurs et de foireux.

Du coup, mince d’émotion en Italie : c’était à qui, parmi les galonnards, se ferait de la réclame en provoquant Henri en duel.

Finalement, c’est entre princes que ça s’est dévidé. Les deux batailleurs ont ça de commun que, n’étant pas enfants naturels, au lieu de porter, comme tout le monde, le nom de leurs paternels, ils sont affublés d’un nom de ville.

L’un se fait qualifier « d’Orléans » comme le vinaigre,

L’autre « de Turin » kif-kif le vermouth.

Inutile d’ajouter que ces deux terribles duellistes ont eu bougrement soin de ne pas se faire de bobo, — encore moins de s’embrocher tous deux,

Ce qui eut déblayé le terrain de sacrée façon…, et aurait été le seul moyen de se faire prendre au sérieux et de jouir, — une fois morts sinon de l’estime, du moins de l’indifférence populaire, au lieu de la haine que — aussi longtemps qu’ils vivront, — leur doit le populo.




Les duels du prince Henri devaient être un chapelet interminable.

Ah ouat, c’était du pur chiquet : ça s’est réduit à un duel aux épingles, — tout en gros !

Ça a été le second acte de la fumisterie réclamière emmanchée par ce moineau prétentieux et prétendant.

Le premier acte a été l’histoire pétaradeuse et mensongère de ses voyages en Orient.

Le type est d’ailleurs un finaud ! Il a compris son époque, s’est rendu compte que les parasites qui vivent en simple vermine aux crochets du populo commencent à être salement méprisés.

Aussi, au lieu de se poser en grand mec, noceur et feignasse, kif-kif le Totor de la Badingueusaille, il a tiré des plans pour nous taper dans l’œil, en se dévoilant un homme utile.

S’il n’avait pas caressé d’arrières pensées ambitieuses il se serait borné à aller planter des choux dans ses vastes domaines ou à s’atteler à un turbin quelconque, sans masgnes et sans flaflas.

Mais alors, il fût redevenu un homme comme le commun des mortels.

C’est justement ce qu’il ne voulait pas !

Le salopiaud voulait se mettre hors rang, non en vertu de ses parchemins, mais par le prestige de ses qualités.

C’est rudement roublard !

Eh donc, il a foutu le camp en Asie, il a baguenaudé aux cinq cents mille diables, sans plus se la fouler qu’un habitant de la Butte Montmartre qui, grâce au tramway, s’en va à l’île St-Ouen. Puis, une fois revenu, il nous a débité des bourdes carabinées, farcissant d’aventures et de découvertes prestigieuses le récit de sa vulgaire balade.

Le proverbe : « A beau mentir qui vient de loin ! » s’est vérifié un coup de plus.

Grâce à tout le battage fait par les chieurs d’encre de la presse, on a coupé dans les racontars du prince. Et Félisque, pour lui prouver ses sympathies, l’a marqué d’une wilsonienne.

Et le prince a nagé vers la gloire !

Des bons bougres qui perchent en Cochinchine — autrement dignes de foi, puisqu’ils sont désintéressés, que le nommé Henri — ont donné un démenti formel à ses histoires de voyage : ils ont affirmé que, là-bas, il s’est contenté de vadrouiller ferme et que ses aventures se sont bornées à des parties carrées faites, non dans des endroits déserts et sauvages, mais dans les coins où s’en vont nocer les richards.

À ces affirmations véridiques, notre nom de dieu de prince n’a pas opposé le plus petit démenti : il a posé sa chique et a fait le mort !

Y a donc pas d’erreur : ses voyages, c’est comme ses duels, — de la réclame roublarde.

Et c’est pourquoi, les bons bougres doivent le traiter en prince — et non en homme : les princes ça se reçoit avec des pommes pourries, des étrons confits…, ou des coups de pied dans le foiron !




Le Sang des Martyrs

Par Jules Jouy




(À propos de l’exécution des anarchistes de Chicago, 11 novembre 1887).


Croyant étrangler les pensées,
Les bourgeois pendent les penseurs.
Malgré les potences dressées,
Les pendus ont des successeurs.
Vous pouvez viser les idées
Et les abattre, dans vos tirs :
Elles grandissent, fécondées
Par le sang des martyrs.

Exploiteurs des deux hémisphères,
Russes, Français, Américains,
Négriers, tripoteurs d’affaires,
Monarchistes, républicains,
D’un bout à l’autre des deux pôles,
Contentez vos secrets désirs :
Plongez-vous, jusqu’aux deux épaules,
Dans le sang des martyrs.

C’est par vous que, couvrant la plaine,
Pousse la moisson de demain ;
C’est par vous que la gerbe est pleine
D’épis gras pour le genre humain.
L’idole, dans son temple immense,
Grandit par la mort des fakirs.
Les semeurs, c’est vous ; la semence,
C’est le sang des martyrs.




À COUPS DE TRANCHET




Panama justiciard. — Il y a quelques semaines j’ai allongé un coup de tire-pied à la séquelle justiciarde qui, en face des comptoirs du Palais d’Injustice, avait ouvert des sous-comptoirs où se faisait le commerce des ordonnances de non-lieu.

Comme le scandale menaçait de prendre les proportions d’un Panama judiciaire, la gouvernance a étouffé l’affaire : les quelques gratte-papiers qui ont été arrêtés et qu’il n’y a pas eu mèche de relâcher en douceur ont été condamnés pour la frime.

Ils ne feront pas leur prison, — peut-être même sont-ils déjà en liberté.

C’est qu’aussi ils en savent bougrement long ! L’un de ces types, un greffier de juge instructionneur, gueulait : « Si on me touche, j’envoie une demi-douzaine de magistrats à Mazas… »

Et dire que c’est ces jean-foutre-là, abominables scélérats, qui, au nom de la morale condamnent les pauvres bougres !

Zut alors ! C’est rien malpropre la justice !




Bon voyage ! — Il est décidément bougrement dangereux de se trouver sur le passage de Féliskoff.

À Dunkerque où le tannant Tanneur est allé s’embarquer pour la Russie on a encore arrêté un pauvre bougre, sous prétexte qu’il a tenu des propos malsonnants à son égard.

N’y a-t-il eu que cette unique victime ?

C’est peu probable !

Enfin, voilà. Feliskoff en route pour Pétersbourg… Si seulement le tsar pouvait le garder, — ou l’expédier en Sibérie…

Quel débarras !





DRAMES D’USINES




« Qui sème le vent récolte la tempête ! »

C’est ce dont les exploiteurs ne se rendent pas assez compte, sans quoi ils fileraient plus doux et seraient plus mielleux avec les pauvres bougres qu’ils ont sous leur coupe.

Les jean-foutre tablent trop sur la bonhomie du populo qui est tout plein incommensurable : y a derrière nous une telle kyrielle de siècles d’exploitation que le pli semble définitif et que les richards ne peuvent pas se faire à l’idée que le populo puisse rêver être autre chose qu’un troupeau de ruminants sans volonté.

Les types ont tort !

Si bonnes poires que soient les turbineurs, un jour vient où la dose d’avanies, de rosseries et de misères que les capitalos et leurs larbins leur font endurer est trop considérable.

Alors le jus de chique qui circule dans les veines des peinards se fout à bouillonner ferme et vire vivement en sang rouge de révolté.

Pour lors, gare la casse !

À la moindre provocation, le ressort se détend et le prolo fonce, kif-kif un taureau furieux, sur l’ennemi qui l’a asticoté.

C’est arrivé — au moins deux fois — pas plus tard que la semaine dernière : primo à Puteaux ; deuxièmo, en Belgique.




À Puteaux, c’est une gironde ouvrière d’une fabrique de caoutchouc du quai National qui a foutu à bout portant trois balles dans la sale carcasse d’un contre-coup.

Puis, croyant l’avoir escoffié, la pauvrette a tourné son rigolo contre son cœur et a fait feu ; heureusement un bouton de corsage a fait cuirasse et la pauvrette ne s’est qu’éraflée.

Quant au sac à mistoufles, sur les trois balles, une seule l’a mouché dans le dos et il en réchappera.

Les raisons de ce drame ?

Oh, c’est pas compliqué ; le contre-vache ayant trouvé l’ouvrière à son goût lui fit du plat ; mais la gosse ne voulut rien savoir et envoya paître le birbe.

Alors, le salaud ne tourna pas autour du pot : il expliqua à la pauvrette que, kif-kif Mac Mahon, elle devait « se soumettre ou se démettre…, » accepter ses caresses ou être saquée.

Devant la perspective de la misère, la malheureuse ne résista pas : elle se livra aux bécottages du salopiaud !

Et une fois de plus, le droit de cuissage, cette infection de l’ancien régime, que les marchands de mensonges nous disent enseveli sous les ruines de la Bastille, fut pratiqué carrément par le porc du quai National.

Turellement, quand il eut soupé de la petiote, il l’envoya à l’ours.

Mais la pauvrette ne l’avait pas compris ainsi ! S’étant donnée, elle n’accepta pas d’être plaquée…, et elle s’arma d’un revolver !

Les copains savent le reste…