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Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/257

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Or, la religion catholique et romaine
Était fort pratiquée en ce triste domaine
Dont les habitants, pleins d’une fervente foi,
Vénéraient le saint Père et Henry, leur bon roi,
Depuis qu’il n’était plus un parpaillot. Naguère,
Ayant été pillés par des hommes de guerre,
Qui leur prirent gaîment leurs femmes et leur vin,
Ils avaient juré haine éternelle à Calvin,
Et, bien que ces soudarts fussent ligueurs et reîtres,
Aux huguenots couraient sus ainsi qu’à des traîtres.

Les manants, au sortir de leurs sombres taudis,
Devant le voyageur restèrent ébahis
En voyant que son cou n’avait nulle relique ;
Ses allures étaient celles d’un hérétique,
D’un vassal de Satan, car il n’avait pas craint
De passer tout auprès d’une image de saint
Sans ôter son chapeau de feutre, dont la forme
Annonçait de très-loin Luther et la Réforme.
L’un d’eux, s’enhardissant, dit : C’est un huguenot !
— A mort ! dirent alors les autres. À ce mot,
Hommes, femmes, enfants surgirent dans la rue,
Et les femmes criaient : Nous voulons qu’on le tue !

Mais d’Aubigné rêvait ; il ne semblait pas voir
Que les cailloux déjà commençaient à pleuvoir,
Et laissant au fourreau sa fidèle rapière,
Il demeurait pensif et muet. Une pierre
Fut tout à coup lancée et l’atteignit au front.
Le proscrit tressaillit d’abord à cet affront,
Puis, se rassérénant et tourné vers les drôles,
Sourit sans amertume en haussant les épaules.


ROBERT LUZARCHE.