Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/92

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Refoulant dans son cœur la pensée ulcérée,
Un suprême désir de néant et de paix,
Profond comme la nuit, lent comme la marée,
En lui monte et l’étreint de ses réseaux épais.

Il aspire d’un trait l’air de la solitude ;
Il se couche dans l’herbe ainsi qu’en un cercueil,
Et lève ses regards chargés de lassitude
Vers le ciel où s’éteint l’éclair de son orgueil.

Il promène ses yeux lentement par l’espace,
Errant des pics aigus aux cimes des forêts ;
Suit l’oiseau dont le vol tranquille les dépasse,
Et s’écrie, exhalant le flot de ses regrets :

— « O silence éternel ! ô force aveugle et sourde !
Rocs noirs, prêtres géants de l’immobilité !
Bois sombres dont s’allonge au loin la masse lourde !
Geôliers qu’implore en vain la vieille humanité !

« C’est un Serment fatal que le sang de nos veines !
Le cœur trop ardemment dans la poitrine bat.
Haines, amours, désirs, rêves, passions vaines,
Tout meurtris de la lutte et lassés du combat !

« Tout ce qui fait, hélas ! la vie et son supplice,
Nature, absorbe-le dans ton sommeil divin !
Que ta sérénité souveraine m’emplisse !
Abîme-moi, Nature insensible, en ton sein ! »

— Ainsi, laissant couler sa dernière amertume,
Il gît les bras en croix, dans l’herbe enseveli,
Comme un blessé perdant tout son sang, s’accoutume
A la mort qui déjà le roule dans l’oubli.