Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/372

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Quand, soudain, au détour du dernier promontoire,
L’équipage, poussant un long cri de victoire,
Dans le repli du golfe où tremblent les reflets
Des temples couverts d’or & des riches palais,
Avec ses quais noircis d’une innombrable foule,
Entre l’azur du ciel & celui de la houle,
Du sein de l’Océan vit émerger Tumbez.

Alors, se recordant ses compagnons tombés
À ses côtés, ou morts de soif & de famine,
Et voyant que le peu qui restait avait mine
De gens plus disposés à se ravitailler
Qu’à reprendre leur course, errer & batailler,
Pizarre comprit bien que ce serait démence
Que de s’aventurer dans cet empire immense ;
Et jugeant sagement qu’en ce dernier effort
Il fallait à tout prix qu’il restât le plus fort,
Il prit langue parmi ces nations étranges,
Rassembla beaucoup d’or par dons & par échanges,
Et, gagnant Panama sur son vieux brigantin
Plein des fruits de la terre & lourd de son butin,
Il mouilla dans le port après trois ans de courses.
Là, se trouvant à bout d’hommes & de ressources,
Bien que fort malhabile aux manières des cours,
Il résolut d’user d’un suprême recours
Avant que de tenter sa dernière campagne,
Et de Nombre de Dios s’embarqua pour l’Espagne.