Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/88

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Tenant sur ses genoux, comme sur une table,
Son carton, et souvent d’un air inconfortable,
Se penchant de côté pour tailler son fusain.
Près d’elle, j’aperçus là, sur le banc voisin,
Son petit mantelet, vieux de plusieurs années,
Et son chapeau de paille aux brides bien fanées.
Me sembla-t-elle au moins jolie ou belle ? Non ;
Mais charmante pourtant ; un visage mignon,
Le teint mat, les cheveux châtains, de beaux yeux tristes
Qu’elle levait, avec l’ardeur des vrais artistes,
Sur la Muse accoudée en sa robe aux longs plis.
Au fond de ces grands yeux d’attention remplis,
Je devinais le sort de cette jeune fille.
Elle était à coup sûr de très-humble famille ;
Elle devait avoir un vieux père, je crois
Quelque officier avec sa retraite et la croix ;
Plus de mère, puisqu’on la laissait seule au Louvre…
Et, pris par l’intérêt du roman qu’on découvre,
Mon esprit de poëte errant le complétait.
Quand elle avait appris à dessiner, c’était
Afin de s’employer plus tard dans quelque école ;
Mais, conquise par l’Art qui charme et qui console,
Elle y trouvait déjà bien mieux qu’un gagne-pain.
J’entrais en scène alors sous les traits d’un rapin
Portant le large feutre et la vareuse usée,
Qui, comme elle, venait travailler au Musée
Et bientôt trouvait doux de la voir tous les jours.
Et puis j’imaginais nos timides amours.
Dans le Salon carré négligeant mes copies,