Page:Le Parnassiculet contemporain, 1872.djvu/30

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— Parnassiens, s’écrie-t-il, que reprochez-vous au mandarin ? En quoi a-t-il violé le dogme saint de l’impassibilité ? L’avons-nous entendu célébrer les choses de son pays, ses palais de porcelaine, ses kiosques treillagés, ou ses petits parcs peuplés d’arbres bizarres ? A-t-il peint des objets qu’il a vus de ses yeux, au risque de rouler dans la vérité et la passion ? Non… Tout au contraire, il fait des vers parisiens en Chine, et rêve de sapeurs et de Cauchoises dans les rues de Pékin, que bordent des maisonnettes en bambou. — Ah ! mandarin, que vous avez raison ! continue le poëte en secouant avec frénésie l’or clair de ses longs cheveux. Mort à la réalité et malheur à celui qui voudra la mettre dans ses vers !

Le vers, mandarin, c’est cette coupe de cristal de Bohême, — et il lève un grand calice, long comme une fleur de digitale et si frêle, si mince, qu’un souffle d’air pourrait le faire vibrer. — La coupe est sonore tant qu’elle reste vide ; — et, disant cela, le Parnassien aux cheveux d’or promène son doigt doucement sur le bord qui frémit et chante avec des notes d’harmonica… — Remplissez maintenant ! Versez dans vos strophes le vin fade de la réalité, la coupe ni les strophes ne tinteront plus. — Et le poëte se verse du champagne, et, superbe d’ironie, il frappe de l’ongle contre le cristal, qui ne rend cette fois qu’un son mat et sourd.

— Comprenez-vous, Chinois ? dit le poëte en montrant le verre où mousse le champagne ambré.

Un éclair d’intelligence brille dans les petits yeux du mandarin, il dodeline doucement de la tête, et, prenant le verre placé devant lui, il le vide d’un seul trait.