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LE PRÉSENT.

détacha et alla heurter à la porte du presbytère pour prévenir le vénérable desservant qu’on réclamait ses services. L’escorte se rangea autour de Georges et, de Marguerite ; Pierre entra dans une maison voisine, et en revint au bout de quelques instants rapportant une bêche.

Il revint reprendre son poste derrière les deux amants, posa son fusil auprès de lui et, sans mot dire, se mit à creuser la terre avec ardeur. On se regarda en frissonnant ; on comprit sa pensée. Il creusait la fosse du condamné.

Cependant le prêtre tardait à venir ; le vent du matin était froid et pénétrant ; un silence effrayant planait sur toute la scène. À ce moment une croisée s’ouvrit à l’aile droite du château, et la figure de la marquise apparut. Ce rassemblement à une pareille heure l’étonnait sans doute ; elle regardait attentivement au centre de la place. Tout à coup elle disparut ; quand elle vint reprendre son poste d’observation, sa fille était avec elle. Couverte d’un peignoir blanc jeté à la hâte sur ses épaules, les regards encore noyés de sommeil, la figure charmante de Clotilde se dessinait dans la brume du matin. Elle se mit à fixer le même objet que sa mère. Toutes deux penchées en avant semblaient vouloir dévorer l’espace.

Les habitants du village étonnés de voir les châtelaines si matinales se retour-, nèrent pour les contempler. Georges leva la tête aussi, regarda là où tout.le monde regardait. Un cri partit de la fenêtre du château, la marquise traversa la cour en toute hâte et se dirigea vers la place. Au même instant le prètre sortait de son presbytère ; personne ne le remarqua ; la marquise accourait vers Georges qui stupéfait, tremblant, ressemblait à un homme qui cherche à sortir d’un rêve pénible.

— Qu’est-ce ? dit la marquise en arrivant. Georges ! Georges ! Vous ici !

Elle tomba dans les bras du jeune homme et l’embrassa comme eût pu le faire sa mère. Tous les assistants ouvraient de grands yeux, et chacun, le regard fixé sur la marquise, semblait demander le mot de l’énigme. Pierre continuait à creuser la fosse de Georges.

— Mes amis, dit enfin la marquise aux paysans qui l’entouraient curieusement, que voulez-vous faire ?

Personne ne répondit. Ces armes, ces visages noirs de poudre lui firent soupçonner la vérité.

— Est-ce que vous voudriez tuer mon Georges ?

Pierre leva la tête.

— Madame, cet homme m’appartient. N’essayez pas de me l’enlever.

Jetant sa bèche, il saisit avec vivacité son fusil.

— Malheureux, que voulez-vous faire ?

— Vous l’avez dit, Madame ; le tuer.

— C’est affreux. Vous ne savez donc pas que ce jeune homme, au péril de sa vie, dans son pays, alors que les Français y étaient comme eux sont maintenant