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L’ANNÉE DES COSAQUES.

chez nous, a sauvé plus de vingt de nos compatriotes, les a logés dans son château, a soigné leurs blessures, pansé leurs plaies, qu’il leur a donné du pain, qu’il a partagé avec eux sa maison et sa table. Vous ne tuerez pas celui qui a fait cela, Pierre !

— Si fait bien, Madame, répondit Pierre. Monsieur a encore deux heures à vivre ; le temps d’épouser Mademoiselle, fit-il en désignant Marguerite d’un geste dédaigneux.

— Épouser mademoiselle Marguerite Grandpré, lui, le prince, le fiancé de Clotilde, de ma fille ! Vous rêvez, Pierre, c’est impossible.

La foudre tombée au milieu de la place n’aurait pas causé un plus grand émoi que ces quelques mots de la marquise. Les paysans se regardèrent stupéfaits ; Georges baissa la tête, Marguerite pâlit et le serra dans ses bras comme si elle eût craint qu’on ne vînt le lui arracher.

— Georges, parlez, je vous en conjure, reprit la marquise ; dites-leur ce qui est ; ils ne voudront pas en vous tuant tuer Clotilde et moi du même coup.

La marquise, depuis les quelques jours qu’elle était rentrée chez elle, avait acquis un grand crédit dans le village, elle avait fait du bien, secouru quelques pauvres habitants, visité quelques malades ; ces bienfaits lui revinrent en pitié au moment du danger.

— À cet instant Clotilde apparut dans le cercle et vint se jeter au cou de Georges qui la serra dans ses bras avec émotion.

— Il vit, il m’est rendu, s’écria-t-elle.

— Oui, ma fille, et on veut le tuer.

— Le tuer ! Oh ! non, ce n’est pas possible.

Et joignant les mains devant Pierre appuyé d’un air sombre sur son fusil :

— Monsieur, je vous en prie… Georges est mon fiancé ! mon époux. Grâce pour lui et pour moi !

— Mes frères, dit le vénérable prêtre, spectateur muet et attendri de cette scène, souvenez-vous de la prière que vous redites soir et matin, et pardonnez. Ecartant doucement Marguerite de la main, il vint prendre place auprès de Georges, au bras duquel Clotilde s’était suspendue.

— Venez, Georges, dit la marquise ; et elle se dirigea vers le château.

La foule s’ouvrit devant elle. Clotilde et le prêtre entraînèrent Georges sur ses pas.

— Puisqu’il est votre fiancé, Mademoiselle, dit Pierre sorti enfin de son indécision, qu’il parte.

Il s’écarta de la route qu’il barrait. Georges, étourdi par la rapidité des événements qui venaient de se succéder, se laissa conduire. Il entra dans l’avenue ; au bout d’une minute la grille du château se refermait derrière eux. Marguerite était appuyée au tronc d’un arbre et pleurait.

(La suite au prochain numéro.)

Alexandre MONNIN.