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LE PRÉSENT.

en désordre, attestait le passage et le souffle du génie ; il y avait transfiguration. Que m’importe maintenant, si votre Raphaël ne m’émeut pas, que le modèle que vous faites poser devant lui soit pittoresque et bien drapé ? je m’en soucie peu, je vous assure.

Le Roméo et la Juliette de M. Jalabert sont deux jolis amoureux. Les pieds sur l’échelle de soie, Roméo tend son frontaux caresses de sa jeane amante ; elle plie comme un jonc dans sa robe couleur d’étoiles, et elle laisse tomber sa tête charmante sur celle de son bien-aimé ! Ses yeux se ferment à demi, languissamment, et elle laisse son âme voguer sur cette mer infinie de délices et d’orages que connaissent les vrais amants. Voilà qui est fort bien, et ces langueurs charmantes et souefves, comme on eût dit au bon vieux temps, font plaisir à voir ; mais cette Juliette n’est pas la Juliette de Shakspeare. « Ferme tes épais rideaux, s’écrie-t-elle, ô nuit ! reine des amoureux mystères, dérobe-les aux yeux indiscrets, et que Roméo s’élance dans mes bras, silencieux, invisible ! Viens, nuit solennelle, matrone au maintien grave, au noir vêtement, guide mes pas dans la lice où je dois trouver mon vainqueur. Viens, Roméo, viens ; tu seras le jour de ma nuit ; car dans la nuit ton image se détachera plus blanche que la neige nouvelle sur le noir plumage du corbeau. Viens, nuit propice ; viens, nuit aimable et sombre ; donne-moi mon Roméo. Oh ! qu’elle est lente, cette journée, lente comme la nuit qui précède un jour de fête pour l’enfantqu’attendent de nouvelles parures, et qui est impatient de les porter. »

Ainsi parle la Juliette de Shakspeare, non point languissante, non point roucoulant mollement des mignardises fades et sucrées, mais vive, enflammée ; véritable Italienne, et laissant monter de son cœur à ses lèvres un déluge de paroles de feu. C’est un amour sans trève et sans repos que le sien ; j’eusse voulu dans ces figures plus de vivacité et presque de l’emportement.

Le portrait de M. le Président de Belleyme est un des plus beaux du Salon, j’en félicite sincèrement M. Jalabert.

Arrivons-y donc enfin à ce terrible homme, à cet infatigable souffleur dans toutes les trompettes de la réclame, à M. Gustave Courbet. Je ne perdrai point ici ie temps à discuter gravement les mérites ou démérites de ce nouveau genre artistique et littéraire qu’il a inventé de compte à demi avec M. Champfleury, le réalisme. M. Courbet, ainsi que chacun sait, est un homme d’esprit qui s’est amusé à faire un drapeau d’un haillon pour intriguer les gens et les forcer à tourner la tête. Il se frottait les mains en entendant le bourgeois cracher son nom avec dégoût : Bon, disait-il, il le retiendra !

Son exposition de cette année est beaucoup plus sage que les précédentes. Sauf une chose sans nom, les Demoiselles des bords de la Seine, destinées à raviver le souvenir et le succès de la célèbre baigneuse, les autres toiles signées G. Courbet sont raisonnables et bien traitées.