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LE SALON DE 1857.

les ai toujours trouvées charmantes. Vous savez en effet comme elles sont tout de noir habillées, comme elles n’osent point lever les yeux sur d’autres que sur leur père ou leur frère, comme leurs mains se croisent sans cesse pour la prière, et comme elles citent à tout propos l’Ancien et le Nouveau Testament. Avec cette sévérité d’extérieur et de maintien, presque toutes sont espiègles et vives ; leur œil se baisse et sourit, leur bouche marmotte un verset d’Évangile et se plisse d’ironie, les vieux psaumes ont bon air et se parfument d’un arôme de gaieté malicieuse en passant sur leur jolies lèvres. Ainsi les romanciers n’ont point osé introduire dans leurs livres des jeunes filles toutes confites en dévotion pure ; ils eussent craint d’ennuyer le lecteur. Me Browne a bravement exposé deux jeunes et jolies puritaines pour de bon, une brune et une blonde ; elles sont seules, elles pourraient babiller et parler chiffons, point du tout, elles sont graves, elles lisent dans un gros livre, où bien sûr il n’y a pas le mot pour rire ; puis ayant lu, elles méditent. Ce qui n’empêche pas qu’elles soient fort agréables à voir. De beaux traits bien fins, bien doux, bien transparents ; des yeux grands comme le petit doigt et vifs quoique sérieux, des cheveux soyeux bien lissés sur un front bien pur et bien blanc, une robe montantjusqu’au cou, mais dans sa prison, d’autant plus aimable d’aspect qu’elle est plus étroite, emprisonnant deux seins de contours charmants, voilà un ensemble qui fait deux puritaines tout à fait gentilles. Le gros livre lui-même sous leurs doigts effilés ne fait point peur, et on le feuilleterait volontiers en tête à tête avec elles. Hélas ! ce ne serait pas trop sûr, car l’esprit de l’homme est bien fragile, et les séductions du malin sont bien à craindre.

La Grand’mère, la Leçon sont encore deux toiles réussies, mais la plus jolie de toutes c’est le Catéchisme. Le bon vieux curé a mis ses lunettes à cheval sur son nez, il tient le livre et il écoute. Qu’écoute-t-il ? Rien, je crois, car cette pauvre enfant m’a l’air de ne pas savoir un mot de sa leçon. Aussi comme elle baisse sa tête ronde, coiffée d’un petit bonnet blanc bien propre, repassé tout exprès pour cette malencontreuse solennité ! Comme elle baisse les yeux ! comme elle tortille le coin de son tablier ! quel air embarrassé et boudeur ! Et autour d’elle ses petits camarades, ses petites amies, imprévoyants du même malheur qui va leur arriver à la file, n’ont aucun souci de ses angoisses. Celle-ci a les deux pieds appuyés sur les barreaux de sa chaise et, les mains sur la paille, le corps fortement penché en avant, elle se balance avec lenteur ; celle-là profite de ce qu’elle est dans un coin sombre et caché pour dormir la bouche ouverte ; cette autre se prépare à en faire autant. Puis il y a des figures qui regardent vaguement devant elles sans penser à rien, elles appartiennent à de futurs imbéciles ; il en est d’autres fines, éveillées, rusées, pétillantes de malice et d’esprit. Et toutes rient, jasent, babillent, à qui mieux mieux autour du bon curé qui ne songe pas à les faire taire. Il attend le bon plaisir de la petite paresseuse. Il l’attendra long-