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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/113

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THÉÂTRES.

COMÉDIE-FRANÇAISE.
LE MISANTHROPE.

On ne se sépare pas froidement de Molière. Je sors de la nouvelle reprise du Misanthrope, et, malgré une interprétation défectueuse, me voilà envahi par un monde d’idées que je ne saurais traduire dans un trimestre d’études consciencieuses. Je réclame donc pour ma plume le privilège qu’a le pinceau de peindre parfois largement à la fresque.

Lorsque Pierre Corneille s’empare du patriotisme, de la clémence, de la foi ou du devoir, il leur donne des proportions si incommensurables que l’esprit ébloui par le rayonnement de vertus surhumaines croit assister à l’inflexible condamnation de ses misérables mobiles. Schakspeare semble plus humain parce qu’il aborde un ordre d’idées moins étrangères à notre civilisation. Ses personnages, plus près de nos mœurs, peuvent, au profit de la poésie intime, se passer de certaines couleurs antiques et fabuleuses. Mais ces deux génies, en même temps qu’ils demeurent fidèles aux lignes idéales des visages historiques, trouvent aussi le moyen de faire palpiter une partie remarquable du mouvement humain. Cette manière de faire éclater une époque entière dans la voix et les gestes d’un homme frappe notre imagination amoureuse des grandes synthèses ; ainsi elle conçoit qu’un seul Hercule résume tous les actes d’une sublime brutalité.

Molière, lui aussi, et au moyen des procédés les plus simples, des scènes les plus ordinaires de la vie, a créé une de ces figures grandioses. — Épris de toutes les franchises, ne marchandant jamais sa pensée, quelque poids qu’elle puisse avoir dans les balances de l’intérêt, de l’amitié et de l’amour, Alceste agite sans cesse à son préjudice l’implacable flambeau d’une conscience rigoureuse. Et il s’emporte contre les moindres complaisances mondaines, qui lui paraissent au-