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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/13

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L’ANNÉE DES COSAQUES.

On a beaucoup célébré la résistance des guérillas espagnoles à l’invasion française ; celle de nos paysans a moins frappé les imaginations, et pourtant les Vosges, la Brie et la Champagne se sont montrées aussi héroïques que telle ou telle contrée de la Navarre, de la Vieille-Castille ou de l’Estramadure ; bien des vieux fusils ont été décrochés par des mains habituées à la charrue, bien dessables rouillés tirés du fourreau. On ne sait pas combien il y a encore dans nos campagnes de ces héros de la guerre de partisans et combien le sol français a dévoré d’étrangers. Partout, au coin des haies, au détour des chemins, au moment où le Prussien et le Russe s’y attendaient le moins, un canon de fusil s’abaissait, une fosse creusée à l’écart se remplissait ; c’était un homme de moins dans les rangs des alliés. De nos jours encore on raconte aux veillées ces exploits, et plus d’un de nos vieux laboureurs, à la tête chauve, à la parole respectée des jeunes gens, se souvient d’avoir fait le coup de feu avec les Cosaques. L’éclair de l’ancienne ardeur se rallume dans leurs yeux éteints quand la conversation revient sur ces temps de malheur. Ils se rappellent avec colère ces longues heures passées ît l’affût de l’étranger, quand la maison était brûlée, le vieux père et la vieille mère cachés dans les endroits écartés, les frères et sœurs pleurant auprès d’eux. Dans beaucoup d’endroits en effet, surtout dans la Champagne et la Brie, on n’attendait pas l’arrivée des troupes ennemies ; les habitants des campagnes, chassant devant eux la vache nourrice de la famille, se réfugiaient aux bois avoisinants et y établissaient des colonies nomades, pastorales et guerrières. La femme versait des larmes en abandonnant son toit, mais plus d’un homme sentait s’éveiller en lui les instincts de l’outlaw, qui vit dans les montagnes et sous la feuillée, libre et sauvage comme le loup dont il suit la trace. Ces désertions étaient fatales aux villages dépeuplés ; les ennemis qui se seraient contentés d’exactions légères, comme prélèvement d’un poulet sur une basse-cour, d’une bouteille de vin sur un tonneau, quand ils arrivaient dans les maisons vides s’emportaient ; au foyer solitaire, ils voyaient siéger la haine ardente, implacable ; et souvent au départ, malgré les efforts de leurs chefs, une pipe allumée oubliée dans une botte de paille, ou un tison jeté