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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/12

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L’ANNÉE DES COSAQUES.
PREMIÈRE PARTIE. — LA CHAMPAGNE.
LE CHAMP DE BATAILLE.

Le 5 du mois de février 1814, le canon avait grondé toute la journée près du village de Saint-Just, en Champagne, où un corps d’armée de Schwartzemberg composé d’Austro-Russes avait rencontré un détachement de troupes françaises. Le combat avait été des plus sanglants ; six à sept mille cadavres couvraient le sol détrempé par le sang mêlé à la neige fondue ; les Français battus faisaient leur retraite dans le meilleur ordre possible, et à peine pouvait-on encore entendre l ’écho du canon autrichienqui les poursuivait en s’affaiblissant de plus en plus. Peu à peu ce bruit cessa tout à fait ; un silence effrayant régna dans cette plaine, tout à l’heure remplie de bruit, de colère et de tumulte. Depuis longtemps la nuit était venue, une de ces nuits d’hiver qui, dès cinq heures du soir, arrivent claires, piquantes, amenantavec elles un redoublement de froid. La lune large et pâle versait sa lumière surcette plaine de mort ; iciunecuirasse brillante renvoyaitavec éclat ses rayons ; là elle tombait terne et silencieuse sur un groupe de cadavres. La plaine avait été bien choisie comme théâtre de combat ; spacieuse, elle était entourée par de grands bois qui s’élevaient sur le territoire de ce qui avait été le village de Saint-Just ; car, du pauvre village, il ne restait guère qu’un nom et des débris noircis par la fumée. Les habitants l’avaient quitté et s’étaient refugiés avec leurs bestiaux au milieu des bois dépouillés.