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LE SALON DE 1857.

vements, et un zouave blessé se retire soutenu par un Écossais. Toute la facilité, tout l’entrain, toute l’habileté de M. Vernet sont là. Une cabane incendiée au bas des hauteurs donne au tableau un petit air de désolation qui fait bien. Sans cela, en effet, et sans une certain boulet, fort intelligent, qui arrive non loin du prince Napoléon, s’élance hors du cadre et semble vouloir sauter à la figure du spectateur, on croirait moins assister à un bataille qu’à une petite guerre d’instruction et de plaisir. C’est avec cette ardeur, j’imagine, que les soldats du maréchal Castellane doivent, par une belle matinée de printemps, escalader les rampes des collines qui avoisinent Lyon. Ici nous avons le boulet en plus, qui veut dire bataille et danger. C’est un hiéroglyphe facile à déchiffrer.

M. Vernet a exposé en outre un beau portrait équestre de l’Empereur, un portrait en pied du maréchal Bosquet et un autre du maréchal Canrobert. Le maréchal Bosquet est excellent. Appuyé sur un canon, les bottes poudreuses, il est bien tel qu’on se l’imagine dans les journées où la poudre parle. Le maréchal Canrobert est beaucoup mieux verni et beaucoup plus luisant, mais moins beau. Quelle singulière idée a eue M. Vernet de transformer l’honnête soldat qui sut résigner son pouvoir devant l’imprenable Sébastopol avec tant d’abnégation héroïque, en un ancien fier-à-bras de la Comédie-Française ! La tête est haute et presque renversée entre les deux épaules, tant elle est haute ; les moustaches poignardent le ciel ; les yeux envoient l’insulte et le défi ; ils fusillent sans pitié tous ceux qui passent sous leur rayon. Si ce portrait pouvait parler, il réciterait certainement les fameuses tirades des matamores de Corneille. On est tenté de tomber à genoux devant ce soldat plus que vainqueur et de crier : Grâce ! grâce ! — Point de grâce, répond Barbe-Bleue, la clef du petit cabinet noir, ou vous mourrez ! — J’en suis bien fâché pour M. Vernet, mais l’illustre guerrier qu’il est censé représenter serait un excellent épouvantail pour les marmots.

Le Zouave trappiste est un petit tableau de genre fort admiré et qui le mérite. J’en aime surtout le ciel d’Afrique et sa teinte si bleue, si bleue, qu’on en a comme des vertiges et des éblouissements. M. Vernet a, somme toute, bien soutenu sa vieille réputation.

Léon DALÉAS.
(La suite au prochain numéro.)