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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/142

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LE PRÉSENT.

sement étrange du sentier ? — Vous parlerai-je des Deux amours ? Un poëte est à côté d’une créature facile et attristante ; mais son cœur est bien loin, il est auprès de celle qui l’a fait battre pour la première fois… Je m’arrète ; il faudrait vous citer la pièce entière. Je ne puis cependant me défendre de vous dire encore quelques vers qui me reviennent sans cesse à la mémoire ; vous verrez qu’il vous sera impossible de les oublier jamais :


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Les pieds pendants au fil de l’eau,
Moi, j’aime à rêver sous un saule,
Avec l’amante d’Othello ;
Et pourtant voici la semaine,
Rouge d’une hécatombe humaine,
Rouge du sang de vingt héros
Qui jetaient, fiers et sans murmures,
Leurs belles têtes demi-mures
Dans la corbeille des bourreaux.


Pauvre Hégésippe Moreau ! Une fleur éternelle, le myosotis, s’attache à ta mémoire comme une étoile au firmament ; mais si ta croix eût été moins lourde et ta bourse moins légère, ne te contemplerions-nouspas aujourd’hui tout constellé de lumières ? Triste et malade de misère, endormi par la fatigue, réveillé par le besoin, tu as disparu comme un météore, et personne n’a entendu le son de tes Cloches ; et les ailes de la Fauvette du Calvaire ont palpité dans le vide ! Il y avait pourtant un air pénétrant, un vrai soleil, et surtout un soufle d’en haut et une véritable émotion d’ici-bas dans ta poésie jeune, verdoyante et sincère. Va, repose en paix. Que les fleurs, dont-tu t’es énivré comme une abeille, croissent éternellement sur ta tombe écartée ; tes vers posthumes, on les touche pieusement comme de saintes reliques, et tandis que ton essor interrompu se poursuit vers des lieux inconnus, ton souvenir arrache plus de larmes que celui de Marcellus.

Chaque fois que j’ai vu mettre Béranger à côté d’Horace j’ai toujours pensé que c’était pour faire allusion au fameux bouclier. N’ayant trouvé rien de semblable dans la vie du chansonnier français, je cherche encore les motifs de cette comparaison ; et à moins qu’ils ne soient patriotiques, on ne me les fera jamais concevoir. Béranger eut-il jamais, en effet, cette élégance soutenue, cette grâce attique, cette pureté, cette heureuse hardiesse d’expressions, et surtout ce lyrisme qui court sur les chansons latines comme un vent rapide ? Les vers de Béranger sont dans toutes les mémoires ; mais combien méritent la correction et même l’oubli le plus complet. En pourrait-on dire autant des vers d’Horace ? Je sais bien que la langue latine offre des ressources d’harmonie dont la nôtre est privée ; mais malheureusement, en littérature, on ne tient compte que des résultats ; les efforts et les bonnes intentions servent tout au plus de fiche consolatrice aux médiocrités impuissantes. — Sans parler d’Hégésippe Moreau, on pourrait mettre sous les yeui