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J.-P. DE BÉRANGER.

du lecteur une poésie large, savante, imagée qui ferait pâlir les chansons populaires. À quoi bon toutefois ? Cette poésie n’aurait de charme que pour ceux qui ne demandent pas de la nationalité à une idée ; mais bien le souffle inspiré et le costume brillant de l’imagination.

Lorsque Béranger s’exalte, c’est presque toujours de sang-froid, et alors, dépaysé, il perd la tête, et ses images deviennent assez obscures. L’exil de M. de Chateaubriand lui inspira les vers suivants :


De son pays, qui lui doit tant de lyres,
Lorsque la sienne en pleurant s’exila,
Il s’enquérait aux débris des empires
Si des Français n’avaient point passé là.

C’était l’époque où, fécondant l’histoire,
La grande épée, effroi des nations,
Resplendissante au soleil de la gloire,
En fit sur nous rejaillir les rayons.


Cet enthousiasme ne ressemble-t-il pas beaucoup au vertige ? Il ne faut donc pas, comme le bruit en a couru, chercher l’amant de Lisette dans les régions poétiques, on l’y rencontrerait rarement. Demandez-lui plutôt du sens, de la malice, de la correction, du coup d’œil, et il vous répondra toujours.

Je ne voudrais pas cependant amoindrir les mérites du chansonnier. Après avoir dit qu’une partie de sa gloire émane de la dignité et de la logique de sa vie ; que son œuvre gagne beaucoup à traduire l’opinion et à s’électriser de ses courants ; il faut le louer d’être venu aux véritables sources de la langue française, et d’avoir contribué pour sa part à nous débarrasser de Gœthe, de Byron et d’une foule d’autres bardes exotiques. Vous me direz que ces mérites étaient un peu forcés, attendu que le grec, le latin et les langues étrangères étaient lettres closes pour Béranger. Bénie soit alors cette ignorance, qui nous donne la mesure de nos propres forces et nous enseigne à marcher sans lisières.

Au moment de clore cette rapide appréciation sur Béranger, je m’aperçois que j’oublie deux de ses titres à la postérité : il a refusé d’être censeur et académicien.

Henri Denys.