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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/150

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LE PRÉSENT.

sur sa tête les gloires réunies de Gustave-Adolphe, de Richelieu et de Mazarin. À force de sagesse, il semblait avoir dérobé au hasard toutes les chances contraires du destin, et arraché au destin le gouvernement de l’avenir ; mais le hasard et le destin ont toujours en réserve contre le génie humain quelque ressource secrète, quelque botte imprévue, qui le fait trébucher dans la sagesse de ses conseils. Contre Alexandre, ils ont la coupe d’Hercule et quelques gouttes de vin, contre César le poignard imbécile de Brutus, contre Napoléon les glaces de la Russie. Ainsi ils se réservaient de foudroyer toute cette prévoyance, toute cette lente accumulation de forces de Henri IV.

Tandis que ses diplomates revenaient à lui, tandis que ses soldats s’acheminaient vers les Pyrénées et vers le Rhin, au milieu des craintes de l’Autriche et de l’Espagne, de la joie de la France et de l’attente universelle, dès 1609, un maître d’école partait d’Angoulême. Le pape était allié de Henri IV ; ce maître d’école s’imaginait dans son ignorance, à voir Henri ami de tant de puissances protestantes, que toute cette force était préparée contre lui. Il vint à Paris, il essaya de voir le roi, de lui parler, de le convertir. La misère le chassa. Il retourna à Angoulème. Obsédé de la pensée de son attentat il revint à Paris, et vola un couteau dans une hôtellerie. Des doutes le prirent ; encore une fois il hésita et emporta avec lui sur les routes le trouble de sa conscience et la méditation de son forfait. Arrivé à Étampes, il s’arrêta près d’un jardin et rompit d’un pouce sur une pierre la pointe de son couteau ; la vue de Jésus-Christ étendant les bras sur la croix raviva en lui l’audace du crime. Il aiguisa de nouveau la lame rompue et reprit son chemin. On sait le reste. Henri IV tombait le 14 mai 1610, dans la rue de la Ferronnerie sous le couteau de Ravaillac. Qu’on aille voir au musée d’artillerie cette arme hideuse ; en entrant au cœur de Henri IV, elle fit à la France une blessure par laquelle coulèrent des torrents de sang.

Toute cette époque, grande et belle entre toutes les époques de l histoire de France, a rencontré un historien digne d’elle. L’Académie n’a fait que justice en transportant à M. Poirson le grand prix Gobert et la succession de M. Augustin Thierry. D’autres qualités recommandent son œuvre que l’Histoire de la conquête de l’Angleterre, mais ni moins fortes ni moins hautes. Si l’on n’a pas le pittoresque des costumes, l’éclat des couleurs, la poésie du récit, on a ce qui vaut mieux peut-être, l’exactitude scrupuleuse, l’analyse profonde des faits et la vérité vraie, le dernier mot sur ces temps si controversés. M. Poirson est en histoire de l’école de Polybe et de Montesquieu. À une expression brillante il préfère une idée juste, à l’inspiration qui croit deviner et souvent s’égare, la raison, qui, en racontant, discute et prouve. L’histoire est vraiment pour lui la muse austère dont l’étude seule, une étude attentive, pénétrante et réfléchie, livre les secrets. Tous les textes ont été par lui lus et comparés, tous les documents fouillés, tous les témoins entendus, confrontés. Il sait la foi qu’on peut leur accorder, il