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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/153

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L’ANNÉE DES COSAQUES.
PREMIÈRE PARTIE. — LA CHAMPAGNE.
VIII. — LE PIÈGE.

Après le déjeuner, comme la veille, Georges et le comte sortirent pour faire un tour.

Le comte, peu mélancolique de sa nature, gardait un silence obstiné, et tout en projetant devant lui la fumée de son cigare, avec cet art qui trahit l’habitude et indique la volupté profonde du fumeur, il poussait de gros soupirs en regardant son ami. Georges ne fit guère attention d’abord à ce manège, mais les singuliers regards du comte persistant, il se hasarda à lui demander le motif de ces soupirs et de ces yeux alternativement jetés sur lui et levés vers le ciel. Le comte se fit beaucoup prier, dit à Georges de ne point l’interroger ; naturellement Georges insista, c’était ce que voulait Ostrowki. Il prit enfin son air le plus mystérieux, son ton de voix le plus grave, et dit solennellement :

— Georges, vous êtes mon ami, et je ne voudrais pas vous faire de peine ; mais après tout, vous êtes un homme, et puisque vous y tenez absolument, je ne vois pas pourquoi je vous en ferais un mystère. Ici il se tut.

— Qu’y a-t-il donc enfin ? dit Georges impatienté.

— Il y a, il y a, mon cher, qu’elle te trahit.

— Qui, elle ?

— Marguerite.

— Vraiment !

Georges lança ce mot d’un air ironique et d’un ton d’incrédulité qui exaspéra le comte.

— Ah ! c’est ainsi que tu le prends ! Tu es bien philosophe pour un amoureux. Après tout, il ne faut point disputer des goûts, et s’il te plaît que la future prin-