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LE PRÉSENT.

cesse Bariatinski se lève la nuit pour donner des rendez-vous à un rustre, je ne vois pas pourquoi, moi, je m’en inquiéterais beaucoup.

Georges haussa les épaules.

— Quel conte me faites-vous là, Ostrowki ?

— Conte est fort bon en vérité, conte est charmant, conte vaut son pesant d’or. Et si je te disais que je l’ai vue, vue de ces deux yeux, qui sont assez bons, Dieu merci ! sortir de sa chambre, sortir du château, se glisser dans le parc, et y recevoir au clair de lune les hommages d’un galant, si je te disais cela, me croirais-tu ?

— Non, c’est impossible.

— Soit, je n’ai rien vu, j’ai rêvé. Marguerite ne court point la nuit et te garde une fidélité sans tache. Je t’ai averti, j’ai fait mon devoir, je m’en lave les mains. Tu peux y aller voir à ton tour, si tu veux.

Le comte rentra au château.

Georges ne croyait pas Ostrowki, et cependant la journée se passa pour lui dans l’inquiétude et dans l’agitation. La nuit venue, il se dit qu’Ostrowki avait voulu se moquer, qu’il était indigne de lui d’ajouter foi à de pareilles histoires, de soupçonner Marguerite, qu’il ne sortirait pas ; et après s’être dit tout cela, il sortit et alla s’embusquer dans l’allée qui conduisait aux marronniers. Il pouvait être minuit à peu près ; il vit venir de loin une forme de femme qui, en l’apercevant, se jeta dans un sentier latéral.

Il chancela comme s’il allait se trouver mal, puis s’élança, mais Marguerite, car c’était elle, il l’avait reconnue, était bien loin de lui ; elle rentra au château, il en fit autant, se coucha brisé de fatigue, et eut la fièvre toute la nuit.

Le lendemain, dès le matin, la marquise eut une conversation avec le jardinier. Après le déjeuner, qui fut triste, elle fit appeler Marguerite.

— Bon ! voilà la crise, se dit Ostrowki, que va-t-il advenir ?

— Mademoiselle, où êtes-vous allée cette nuit ?

— Cette nuit, moi, madame la marquise !

Madame de Lautages fit un signe de tête.

Marguerite répondit avec effort et en baissant la tête :

— Nulle part, madame.

— Levez donc la tête, mademoiselle, dit la marquise sévèrement, vous avez l’air de quelqu’un qui ment. Qu’est-ce que ce jeune homme à qui vous aviez donné rendez-vous à minuit ?

— Je ne sais, madame, en vérité !

— En vérité !  !  ! vous ne savez.

La marquise sonna.

— Faites venir Jérôme.

Jérôme, le jardinier dénonciateur, entra. Il raconta que la nuit dernière il avait