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L’ANNÉE DES COSAQUES.

qui allaient mourir. Puis à leur suite se mettaient en marche, au pas militaire, d’anciens soldats, ouvriers, paysans, qui allaient demander des armes.

Cependant, sur les toits, au sommet de ces maisons à cinq ou six étages, quelques habitants regardaient au loin dans la plaine les lignes silencieuses et sombres des alliés. Là, point de bruit ; de nombreuses sentinelles, des grand’gardes multipliées et repos complet. Ils pouvaient se reposer enfin, tous ces hommes qui venaient des bords de la mer Noire, de l’Oural ou du Volga ; ils touchaient au terme de leur voyage. Paris était devant eux, Paris, la ville sainte, qu’ils appelaient de leurs cris depuis qu’ils avaient mis le pied hors de leur cabane de terre et de roseaux, le rêve qu’ils avaient poursuivi à travers la fumée de tant de champs de bataille. Jamais, depuis les croisades, pareil pèlerinage d’hommes armés ne s’était mis en route pour une seule ville. Tout le bronze et l’airain de l’Europe étaient là ; les faux et les socs de charrue s’étaient mis en campagne et venaient à la moisson des idées. Sans doute il est encore dans les steppes de la Russie plus d’un moissonneurde ces temps-là qui garde sous sa paupière éteinte un reflet des merveilles qu’il visita, et sans doute aussi plus d’un de ses fils songe au grand voyage et fourbit sa lance… Que le Dieu qui protége la France nous préserve du retour de pareils moments !

Où est l’Empereur, cependant, à cette heure du dernier combat ? Ne va-t-il pas convoquer toutes ses batailles et amener Marengo, Austerlitz ou Wagram au secours de Paris menacé ? L’Empereur ! l’Empereur ! Toute bouche l’appelle. Il est sur la route de Troyes, il accourt. Arrivera-t-il à temps ?

Marguerite, la pauvre enfant dont nous suivons la fortune dans ces funérailles de la France, avait à grand’peine traversé le faubourg Saint-Antoine. Arrivée à la place de la Bastille, elle ne sut de quel côté porter ses pas. À tout hasard, elle se dirigea du côté des boulevards. À la hauteur de la porte Saint-Martin, elle avisa une sentinelle qui montait la garde devant une porte, et, abordant le soldat, elle lui demanda s’il pouvait lui dire où était le 92e régiment de ligne.

— Le 92e ? Connu ? J’y ai servi aux grenadiers, capitaine Leblanc… Un fameux lapin celui-là… Passé l’arme à gauche à Brienne. — Connais pas !… Assez causé !… Au large !

Le soldat reprit sa promenade en se dandinant et en sifflant un air de caserne.

Marguerite fit quelques autres tentatives auprès de différents militaires, et ne put obtenir aucun renseignement précis. Épuisée de fatigue, elle entra sous une porte cochère où une famille s’était réfugiée, prit place sur une botte de paille et s’endormit.

Le lendemain, vers six heures du matin, un bruit terrible la réveilla en sursaut.

— Qu’y a-t-il ? fit-elle en s’adressant à son voisin, un vieillard à cheveux blancs, aux côtés duquel elle avait d’u’tm.