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HÉGÉSIPPE MOREAU.

lège de Provins, le conduisit tout enfant dans cette ville, où il mourut bientôt. Sa compagne lui survit plusieurs années, pendant lesquelles elle entre en condition chez Mme Guérard, depuis Mme Favier. Devenu complétement orphelin, Hégésippe trouve des protections chez les maîtres affectueux de sa mère, et il était déjà sur les bancs du collège de Provins, lorsque ses bienfaiteurs vont se fixer à la campagne. C’est alors qu’il fut placé d’abord au petit séminaire de Meaux, puis à celui d’Avon.


Autrefois, pour prier, mes lèvres enfantines,
D’elles-mêmes s’ouvraient aux syllabes latines,
Et j’allais aux grands jours, blanc lévite du chœur,
Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur.


Après avoir complété son éducation il devient, comme Béranger, apprenti d’imprimerie. Ses débuts se font à Provins, chez M. Lebeau, dont la fille, Mlle Louise, l’aima comme une sœur véritable. C’est pour elle qu’il a écrit des contes charmants où la naïveté enfantine se mèle à une exquise sensibilité ; c’est à elle qu’il disait : « Je suis Ixus, le pauvre gui de chêne qu’un coup de vent ferait mourir.))

Voilà donc Hégésippe dans la petite ville de Provins, entouré d’amis, à côté de Louise sa sœur adoptive, qui lui dit doucement à la fin de la journée, en passant devant sa porte : — Bonsoir, M. Moreau ! Pourquoi n’y resta-t-il pas longtemps, toujours ? Mais ses poésies commençaient à faire du bruit ; les conseils, et aussi le vague désir de la gloire le conduisirent à Paris. À partir de ce jour la misère la plus profonde et un oubli mortel s’acharnèrent après lui ; la terre lui servit souvent d’oreiller, le vent de traiteur, le ciel de couverture, et parfois, pour augmenter un peu son luxe, il alla demander au bois de Boulogne l’abri gratuit de ses branches. Humide hospitalité, qui, jointe à la privation de nourriture, — car c’est surtout dans ce sens que la nature a horreur du vide, — ruina sa santé et le conduisit insensiblement à l’hôpital. Ah ! combien de fois alors il dut s’écrier d’une voix désolée : « Je suis Ixus, ce pauvre gui de chène qu’un coup de vent fera mourir. » Que de fois, dans ses soirées de tristesse et ses nuits d’insomnie, il dut regretter ces simples paroles de Louise : Bonsoir ! bonsoir, M. Moreau. — Mais pourquoi ne revenait-il pas à Provins, auprès de ses amis et de ses bienfaiteurs ? Hélas ! des voix étrangères, quelque douces qu’elles soient, ne valent pas encore le courroux d’une mère ; puis toujours importuner ; on est fier, les bontés se lassent et manifestent quelquefois l’aigreur par des nuances imperceptibles ; alors on prend la résolution de ne devoir le pain de chaque jour qu’à soi-même : c’est dans ces luttes obscures que les natures délicates se brisent, lorsqu’elles ne se pervertissent pas.

La nature candide d’Hégésippe se ternit légèrement au souffle du malheur ; il renia souvent le ciel et les hommes ; toutefois ses blasphèmes ne sont pas sincè-