Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
196
LE PRÉSENT.

Georges, dit Marguerite, revenant au sentiment de sa situation, je ne puis rester ici chez vous, je veux m’en aller.

— Vous en aller ? Et où ? Vous n’y pensez pas, ma chère Marguerite ! Vous ne connaissez personne à Paris ; la ville est pleine de soldats. Accordez-moi quelques jours encore ; nous retournerons ensemble à Saint-Just chercher votre père, qui sera le mien. La guerre est finie, rien ne s’oppose plus à notre bonheur. J’obtiendrai le consentement de l’Empereur, celui de ma mère, et vous serez ma femme, je le jure devant Dieu qui m’entend. Résignez-vous seulement à étre ma captive quelques jours encore. Roezakoff !

Le vieux Roczakoff apparut et fit à la jeune fille une grimace qui voulait être un sourire. Georges lui adressa quelques paroles en russe.

— Je lui recommande de rester dans votre antichambre, de n’en bouger ni jour ni nuit ; d’être à vos ordres et de se faire tuer plutôt que de vous laisser sortir. Vous êtes bien prévenue.

— Mon bon Georges, n’oubliez pas Jarry !

— J’y cours, et je reviens. Faites-vous belle, n’est-ce pas ?

Il baisa la main de la jeune fille et sortit. Marguerite, restée seule, ôta son costume d’homme, et fit un choix parmi tous les vêtements que Georges avait fait apporter. Jamais elle n’avait rêvé pareilles magnificences ; le velours, la soie, le satin étaient entassés à ses pieds. Elle se donna le plaisir de manier toutes ces étoffes l’une après l’autre ; mais elle eut le bon goût de se décider pour la robe la plus simple de toutes. Un élégant chapeau rose encadra sa fraîche figure ; jamais elle ne s’était vue si jolie, son miroir lui-même souriait à sa beauté.

Au bout d’une heure environ, Georges reparut.

— Et Jarry ? s’écria Marguerite.

— Vous voulez donc me faire redevenir jaloux, mademoiselle ? dit-il en riant.

— Georges, je vous en prie…

— Allons ! calme-toi ; Jarry est sauvé ; un courrier porte sa grâce à l’instant, signée de l’Empereur.

— Merci, merci, Georges. Je puis vous aimer sans remords.

Sur les pas de Georges était entré un domestique en livrée portant un grand plateau sur lequel était placé tout ce qui était nécessaire pour un repas délicat et abondant ; le prince demanda à Marguerite la permission de dîner à sa table ; Marguerite, avec une grâce de duchesse