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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/21

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L’ANNÉE DES COSAQUES.

de lui, et des mèches de ses cheveux, blonds comme l’aile dorée d une abeille, étaient collées à son front.

Auprès de lui un homme était à genoux.

Celui-là était âgé, Sa figure était rude et martiale, une longue balafre lui sillonnait la joue, mais une telle douleur était peinte sur ce dur visage que Marguerite en fut émue jusqu’au fond de l’âme. Il ne pleurait pas, sans doute parce qu’il n’avait plus de larmes, car ses joues étaient humides ; il tenait dans ses mains une des mains du jeune homme, et par moments avec un mauvais chiffon de grosse toile, essuyait le sang qui venait se figer sur la plaie.

— Michel, je vais mourir, dit le blessé d’une voix faible.

— Je suis sûr que non, répondit le vieillard. Le samedi des morts, j’ai été m’asseoir à la nuit tombée sur le perron de l’église Saint-Michel, et j’ai vu passer les vivants qui devaient mourir dans l’année. Vous n’y étiez pas, cher seigneur.

— As-tu bien regardé, Michel ?

— De mes deux yeux. J’ai vu Fédia qui a été tué sur les bords du grand fleuve que nous avons traversé avant d’entrer en France ; Fédoci que la fièvre a emporté ; Kostia à qui son cheval a cassé la tête, mais j’ai bien regardé, je ne vous ai pas vu.

— Tu me l’as déjà dit, je l’ai raconté à Ostrowki, il s’est moqué de moi et m’a dit que c’était une superstition.

— Seigneur ! dit le vieillard en levant les yeux au ciel, le comte votre ami ne croit à rien.

— Que je souffre, que je souffre, mon bon Michel !

À ce cri déchirant, Marguerite fut obligé de s’appuyer contre un arbre pour ne pas tomber ; quelle que fût son antipathie pour les Russes, un pareil spectacle à cette heure de la nuit, éclairé par la lune sur un fond de neige, remuait profondément son cœur. Elle s’avança ; le Cosaque, — l’homme à genoux était un Cosaque, — en entendant son pas glisser sur la neige, releva la tête et joignit les mains en disant : « Pitié ! pitié ! »

Il jeta ces paroles avec un tel sanglot que Marguerite involontairement tomba à genoux auprès de lui et du jeune officier. Celui-ci à ce